C’est le coup d’envoi d’une année chargée sur le front de la biodiversité: organisé lundi 11 janvier à l’Elysée, le One Planet Summit a ronronné sous les annonces de nouvelles initiatives et coalitions. Après une année blanche, son principal mérite aura été de redonner un souffle politique aux sujets environnementaux.
Congrès mondial de la nature de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), Assemblée générale des Nations unies avec convergence des trois conventions de Rio, COP de ces trois conventions à l’automne (dont la COP15 de la Convention sur la diversité biologique à Kunming en Chine): 2021 sera une année cruciale pour l’environnement, et en particulier pour la biodiversité. Celle qu’aurait dû être 2020, paralysée par la Covid-19.
Si les premiers jours de 2021 ne garantissent pas qu’elle sera épargnée par la crise, les acteurs de la biodiversité veulent désormais avancer. Tel était d’ailleurs le sens, peut-être le message principal, du One Planet Summit organisé lundi 11 janvier par l’Elysée. L’évènement était le quatrième du genre: d’autres One Planet Summit s’étaient tenus en décembre 2017 à Paris, en septembre 2018 New York et en mars 2019 à Nairobi.
L’évènement s’est déroulé sans accroc, ni passion: récités en grande partie par visioconférence, les discours de chefs d’Etat et de dirigeants d’organisation se sont enchaînés tout au long de la journée. Laissant progressivement place à une douce sensation de ronronnement, au rythme des formules convenues. Un chapelet de discours politiques, raillé par la militante Greta Thunberg sur son compte Twitter (voir illustration de l’article).
Peut-être averti de cette réaction, le président Emmanuel Macron, hôte de l’évènement, s’est aussitôt défendu: «on peut reprocher beaucoup de choses à des sommets comme celui qu’on a eu aujourd’hui. Il y a des gens qui nous diront ‘c’est du blabla, ça ne sert à rien’. Il y a des gens qui adorent la déploration et qui vont continuer à dire ‘on va tous mourir et le monde va s’effondrer’ (…) Or moi je pense qu’on peut changer les choses, mais les choses ne changent pas du jour au lendemain. Elles supposent une action concrète sur le terrain, mais s’il n’y a pas des engagements tels que ceux qu’on vient de prendre aujourd’hui, cela n’avance pas».
En matière d’engagements, la spécialité des One Planet Summit, peut-être même sa seule raison d’être, consiste à mettre en place de nouvelles alliances et initiatives. En cela, nul doute que la journée constitue une réussite éclatante. Variante de ce fastidieux exercice multilatéraliste, accorder une nouvelle chance à des initiatives déjà existantes, nées dans l’enthousiasme lors de précédents sommets mais depuis tombées dans l’oubli. Exemple: la Grande muraille verte sahélienne.
LA GRANDE MURAILLE VERTE REPREND VIE
Visant à lutter contre la désertification, ce projet consisterait à planter une grande ceinture arborée dans la largeur du continent africain, de Dakar à Djibouti. Objectif: restaurer 100 millions d’hectares de terres dégradées, fournir des emplois à 10 millions de personnes, permettre le stockage de 250 millions de tonnes de carbone dans les sols. Au-delà des bienfaits pour le climat et la biodiversité, cette muraille arborée permettrait aussi d’assurer la sécurité alimentaire des habitants. Et indirectement de réduire l’emprise des groupes armés terroristes qui sillonnent la région, voire de diminuer les migrations forcées.
Bien que dotée d’une agence panafricaine depuis 2007, la Grande muraille verte n’a quasiment pas avancé. L’Elysée souhaite la relancer: lors du One Planet Summit, il a annoncé la mise en place d’un ‘accélérateur’ de la Grande muraille verte, dont le secrétariat, mis en place courant 2021, sera hébergé par la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification.
DES PROMESSES À LA HAUTEUR DES ATTENTES
Lundi après-midi, Emmanuel Macron a annoncé des promesses de dons de 14,3 milliards de dollars (11,8 milliards d’euros) pour les cinq prochaines années (2021-2025). Objectif atteint, puisqu’il s’agissait d’atteindre au moins 10 milliards d’euros. Ces promesses équivalent à plus du tiers de l’ensemble des financements nécessaires, d’ici à 2030, pour que la Grande muraille verte aboutisse enfin –entre 36 et 43 milliards de dollars.
Parmi les ‘grands prometteurs’ de ces 14,3 Md$, la Banque africaine de développement (6,5 Md$), le Fonds international de développement agricole (Fida), le Fonds vert pour le climat et la Banque mondiale. Quant à la France, outre sa participation via l’Agence français de développement (AFD), Emmanuel Macron a annoncé une hausse de 50% de la subvention au Fida[i].
Le projet de la Grande muraille verte s’articule autour de cinq grands piliers: investissement dans les petites et moyennes entreprises (4,78 Md$), restauration des terres et gestion durable des écosystèmes (2,47 Md$), infrastructures résilientes au climat et accès aux énergies renouvelables (4,64 Md$), gouvernance (1,12 Md$), renforcement des capacités (1,33 Md$).
Le sujet sera de nouveau discuté lors du sommet France-Afrique, en juillet à Montpellier, puis lors de l’Assemblée générale des Nations unies en septembre à New York. Au-delà des financements promis, un doute demeure sur l’essentiel: la mise en œuvre dans les 11 pays concernés, où les ressources associatives sont parfois maigres, les difficultés humanitaires et politiques importantes.
UNE PLUIE D’INITIATIVES ET DE COALITIONS
Autre initiative, la Coalition de la haute ambition pour la nature et les peuples consiste à regrouper des pays s’engageant à protéger 30% de leur territoire terrestre et 30% de leur territoire marin d’ici à 2030. Lors du One Planet Summit, Emmanuel Macron a annoncé que la coalition, portée par la France, le Costa Rica et le Royaume-Uni, comportait désormais 50 pays, contre 10 auparavant.
Cette cible de 30%, que les pays de la coalition s’engagent à soutenir lors de la COP15 de Kunming, va plus loin que les objectifs d’Aichi de 2010, qui prévoyaient 10% de surface maritime et 17% de surface terrestre -à ce jour, respectivement 7% et 15% sont protégés. Quant à la cible de 10% d’espaces en protection forte, soutenue par la France, elle semble pour l’instant écarté des négociations.
Parmi les autres initiatives de la journée, l’Alliance pour l’investissement dans le capital naturel, lancée par le Prince de Galles dans le cadre de son initiative Sustainable Markets, s’adresse aux acteurs de la finance. Son but est d’obtenir 10 milliards de dollars auprès d’eux au cours des deux prochaines années.
Quant à la Task Force on Nature-Related Financial Disclosures (TNFD), annoncée par le premier ministre britannique Boris Johnson sur le modèle du TCFD pour le climat, elle prévoit la mise en place d’un cadre de transparence pour les entreprises et les institutions financières afin de mieux évaluer, et donc de réduire, leurs impacts sur la biodiversité.
Autre initiative, une coalition pour la convergence des financements en faveur du climat et de la biodiversité, dont l’objectif est que 30% des financements climat bénéficient à des solutions basées sur la nature (donc favorables à la biodiversité) d’ici à 2030.
A également été annoncée l’initiative Prezode (Preventing Zoonotic Diseases Emergence), pour l’instant franco-allemande, visant à une coopération internationale de recherche pour la prévention de pandémies issues de réservoirs animaux[ii]. Quant à la coalition pour une Méditerranée exemplaire, elle vise à accroître la présence d’aires protégées, à lutter contre la surpêche et la pollution, verdir le transport maritime.
LES INITIATIVES DÉPLOIENT LEURS AILES… OU PAS
Au-delà de l’élan politique affiché, cette avalanche d’initiatives éveille parfois le scepticisme. Quiddes initiatives nées lors de précédents sommets? Par exemple, l’initiative ‘4 pour 1.000’, lancée en grande pompe en décembre 2015 lors de la COP21 et dont l’objectif est d’accroître la séquestration de carbone dans les sols agricoles: survivant à grand-peine, faute de financements, nul intervenant du One Planet Summit, pas même Emmanuel Macron, n’a eu un mot pour elle.
Le CCFD-Terre solidaire se souvient quant à lui d’une autre initiative, DeSIRA (Développement intelligent pour l’innovation par la recherche en agriculture). Née en 2017 lors du premier One Planet Summit, son but est de financer une transition agricole durable et climatocompatible dans les pays en développement. Bien que dotée de 600 millions d’euros (moitié de la Commission européenne et des Etats européens, moitié de la Fondation Bill et Melinda Gates), «trois ans après son lancement, il n’est pas possible d’en faire une évaluation précise», indique l’association.
«La gouvernance reste à ce jour insuffisamment définie et incomplète avec un comité technique en charge du suivi-évaluation qui n’est toujours pas mis en place. Par ailleurs, il est difficile de savoir quels projets ont été financés avec une absence totale d’information concernant les projets de la Fondation Bill et Melinda Gates», une organisation très souvent accusée de pousser la cause des OGM dans les pays en développement, rappelle le CCFD-Terre solidaire.
[i] La France a accordé 57,8 millions d’euros lors du dernier cycle de reconstitution (2019-2021).
[ii] Le programme total de Prezode s’élève à 350 millions d’euros. Un tiers de ces financements a été mobilisé, et des discussions sont en cours avec d’autres pays pour le reste.
Journal de l’Environnement /12 janvier 2021