Rester groupés, en silence et remonter loin de la zone d’immersion : c’est ainsi que ces baleines parviennent à échapper au prédateur.
C’est peut-être la partie de cache-cache la plus impressionnante du monde. Une sorte de jeu du chat et de la souris entre espèces de plus de 5 mètres. Orques contre baleines à bec, un choc de titans mais une lutte déséquilibrée. Au contact direct, les secondes n’ont aucune chance. Moins rapides, moins puissantes surtout. Alors elles ont développé une méthode qu’une équipe internationale a dévoilée, jeudi 6 février, dans la revue Sientific Reports : rester groupées, silencieuses et ne jamais remonter verticalement.
« Lorsque nous avons observé ce comportement, ça nous a semblé d’abord n’avoir aucun sens », raconte Natacha Aguilar de Soto, biologiste marine à l’université La Laguna, aux îles Canaries (Espagne). Habituellement, les autres géants des mers, tels les cachalots, laissent les jeunes et quelques baby-sitters à faible profondeur quand ils plongent pêcher, et communiquent avec eux par infrasons. Sauf qu’ils s’expriment dans des fréquences souvent inaudibles à l’orque. Et leur masse leur permet de lutter collectivement.
La baleine à bec n’a pas cette chance et fait donc tout le contraire. Dès qu’une orque s’approche, tout le clan plonge, avec une coordination parfaite et dans un silence total. Les signaux acoustiques grâce auxquels ces mammifères sociaux communiquent, mais aussi dont l’écho leur permet de localiser leurs proies, se taisent. Ils ne se rallument qu’en dessous de 450 mètres, hors de portée des tueuses. Le groupe se reforme, la pêche bat son plein, à des profondeurs pouvant dépasser 1 000 mètres, dans l’obscurité totale, donc.
Capteurs à ventouses
Mais, après quarante-cinq minutes d’exercice, il faut respirer. Le groupe prend alors une direction et remonte, à nouveau en silence, avec un angle de 55 degrés en moyenne, qui le fait émerger à plus de 1 km de son point de départ, loin des mâchoires des épaulards. On comprend là l’importance d’une plongée avec les juvéniles et par ricochet pourquoi, de toutes les baleines, ce groupe est celui dont les petits affichent le poids relatif le plus important. La stratégie a certes un coût : les scientifiques l’ont chiffré à 35 % de temps de pêche active perdu. Mais c’est le prix de la survie.
Pour parvenir à ces résultats, les chercheurs ont d’abord dû trouver des baleines à bec, cétacés furtifs s’il en est. Ils en ont déniché de deux espèces aux Canaries, aux Açores (Portugal) et au large de la côte ligure (Italie), et ont équipé 26 individus de capteurs adhésifs. Une technique éprouvée : au bout de vingt-quatre heures, les ventouses se détachent, les enregistreurs remontent à la surface et livrent leurs données sonores et géographiques.
Des informations précieuses pour la connaissance des cétacés, mais aussi pour leur survie. Obsédées par la détection de leur prédateur, les baleines guettent en effet les moindres bruits. « Une stratégie qui s’est montrée payante depuis des millions d’années, souligne la chercheuse espagnole. Mais l’invention du sonar a conduit à l’arrivée de tout un éventail de nouveaux sons, que la baleine ne sait pas discerner. » Ces sons, qui créent chez elle un stress considérable, seraient à l’origine de plusieurs épisodes de « surmortalité massive ». Les chercheurs invitent donc à réduire leur usage dans la pêche et à concentrer les exercices militaires sur certaines zones. Connaître les baleines pour mieux les protéger.
Nathalie Herzberg/Le Monde/13 février