Pollinis, Notre affaire à tous et trois autres organisations environnementales veulent contraindre le gouvernement à réviser le processus d’autorisation des produits phytosanitaires.
Le gouvernement n’a pas répondu à la mise en demeure adressée au début du mois de septembre 2021 par plusieurs associations écologistes. Lundi 10 janvier 2022, elles ont donc décidé de passer à l’étape suivante : réunis devant le tribunal administratif de Paris, leurs représentants ont annoncé avoir déposé un recours en carence fautive contre l’Etat français pour manquement à ses obligations de protection de la biodiversité. Ils visent, de façon spécifique, les lacunes du processus d’autorisation et de mise sur le marché des produits phytosanitaires.
« Les études scientifiques démontrent que les populations d’insectes, mais aussi d’oiseaux, d’amphibiens, de petits mammifères ou de vers de terre sont en baisse, détaille Julie Pecheur, directrice du plaidoyer de l’association de protection des pollinisateurs Pollinis. Toute la biodiversité ordinaire de France et d’Europe est en train de s’effondrer. Or, les chercheurs désignent presque toujours l’usage immodéré des pesticides comme l’une des causes majeures de l’effondrement. » « Nous sommes dans la sixième extinction de masse et le recours aux pesticides en est l’un des facteurs les plus importants ; il nous semblait donc important d’agir », ajoute Manon Delattre, juriste à l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas).
Avec l’Association nationale pour la protection des eaux et rivières (Anper-Tos) et Biodiversité sous nos pieds, l’Aspas a rejoint Pollinis et Notre affaire à tous, qui avaient lancé la procédure à l’occasion du congrès mondial de l’Union internationale pour la conservation de la nature à Marseille, en septembre. L’association de juristes Notre affaire à tous est également à l’origine de « L’affaire du siècle », qui a conduit la justice à ordonner au gouvernement de « réparer le préjudice écologique » dont il est responsable, en raison du non-respect de ses engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
« Il faut prendre des mesures d’urgence »
Par cette nouvelle procédure concernant la biodiversité, inédite à l’échelle européenne, les cinq associations demandent la révision complète du processus d’homologation des pesticides. Le règlement européen de 2009, selon lequel les produits fabriqués ou mis sur le marché ne doivent avoir « aucun effet indésirable sur l’environnement », est considéré comme l’un des plus protecteurs au monde. Mais dans la pratique, les failles du système d’évaluation des risques ont été pointées de longue date.
Dans leur requête sommaire déposée lundi, que Le Monde a pu consulter, les organisations de défense de l’environnement désignent une série d’insuffisances et appellent à prendre en compte la toxicité chronique des substances évaluées (et non seulement la toxicité aiguë), les effets « cocktail » (soit les conséquences de la coexposition à plusieurs substances), les effets sublétaux, les effets différés ou encore ceux sur les espèces non ciblées.
« Il est vrai que, parfois, on ne dispose pas des outils scientifiques pour évaluer correctement des substances, mais on sait que les effets existent, insiste Barbara Berardi, responsable du pôle pesticides de Pollinis. Il faut donc prendre des mesures d’urgence et réduire au maximum l’utilisation de ces produits. Si on attend que toutes les procédures soient au point, alors on aura des protocoles, mais plus de biodiversité à évaluer ! »
Augmentation de l’utilisation des pesticides
« Malgré les engagements répétés, et alors que l’on sait que les pesticides sont destructeurs de la biodiversité, leur nombre et leur usage continuent à augmenter, ajoute Chloé Gerbier, juriste pour Notre affaire à tous. Nous demandons à ce que l’Etat soit condamné pour cette inaction, pour regarder la catastrophe arriver sans prendre les choses en main. »
En France, les populations d’oiseaux des milieux agricoles et urbains, qui sont particulièrement bien suivies, ont déjà chuté de près de 30 % en trente ans. Les derniers chiffres d’utilisation des pesticides, communiqués en novembre, montraient, quant à eux, un fort rebond des ventes en 2020.
En septembre à Marseille, Emmanuel Macron a annoncé vouloir porter au niveau européen « une initiative forte de sortie accélérée des pesticides ». Alors que la France a pris la présidence de l’Union le 1er janvier, le président l’a encore répété lors d’un entretien au Parisien : « Il faut agir au niveau européen sur ces sujets, a-t-il assuré aux lecteurs du quotidien. Cela ne marche pas si on le fait tout seul. »