Petit dictionnaire des mots faux-culs de l’environnement

Le langage est tout sauf innocent. Consciemment souvent, inconsciemment parfois, les protagonistes enfourchent de nouveaux mots pour surfer sur les concepts écologiques. Ou plutôt, à y regarder de plus près, pour les tordre à dessein. Quand certains mettent en œuvre de véritables stratégies d’évitement, d’autres dénigrent les fondements et la culture même de l’écologie.

Malheureusement même les personnes sincères et engagées reprennent en écho ce vocabulaire dévoyé à leur compte, participant sans le vouloir à la dénaturation des idées écologistes. Il arrive assez souvent que les mots faux-culs soient trahis par les oxymores qu’ils génèrent tels « développement durable » ou « nature en ville », par des néologismes, ou par des formulations technocratiques que tout oppose aux valeurs de l’écologie.

Focus sur quelques mots faux-culs dans le domaine de l’environnement :

Agriculture raisonnée : ou comment bénéficier d’un label vert en continuant l’utilisation d’intrants chimiques. Il y a donc une agriculture déraisonnable ?

Biodiversité : sous prétexte d’exactitude scientifique, on ne dit plus « Nature », mais « biodiversité ». Cette évolution porte en elle l’effacement de l’histoire de la protection de la nature et d’une certaine philosophie. On disait « protecteur de la Nature » (qu’on écrivait avec un « N » majuscule), on ne dit pas « protecteur de la biodiversité ». L’aspect culturel de la nature (les premiers protecteurs étaient les peintres de l’école de Barbizon qui se sont levés contre la destruction de la forêt de Fontainebleau) est supprimé. La Nature c’était l’autre, le sauvage, ce qui nous échappe mais a le droit de vivre. La biodiversité inclue l’Homme. La Nature est belle, flamboyante comme une hêtraie l’automne. La biodiversité est froide, technocratique, privée d’idéologie.

Biodégradable : l’une des meilleures expressions de la capacité de résilience de la nature. C’est l’ardoise magique de notre enfance.  Bien sûr ce n’est pas très beau une peau de banane sur le bord du chemin, et sans doute pas très sain si elle a été traitée au Chlordécone… Biodégradable est le droit à jeter, y compris dans la nature.

Centre d’enfouissement technique : les décharges qui recueillaient nos déchets sont devenues des centres d’enfouissement technique. Ça sent moins mauvais non ? Heureusement interdites elles ne recueillent plus que les déchets industriels ultimes pour lesquels aucun traitement ni recyclage n’est connu à ce jour https://www.actu-environnement.com/ae/dictionnaire_environnement/definition/centre_d_enfouissement_technique_cet.php4

Consommer frais et local : où comment promouvoir des produits issus de l’agriculture y compris industrielle, et de l’élevage industriel non respectueux des animaux https://agriculture.gouv.fr/consommer-frais-et-local

Croissance verte : on ne change pas de modèle, on continue comme avant. La voiture de la croissance va vite, trop vite, elle va sortir de la route au prochain virage. Mais elle a été repeinte en vert c’est rassurant.

Dent creuse : une dent creuse doit être bouchée non ? C’est une évidence. Eh bien « dent creuse » a été inventé par les promoteurs et élus du littoral pour « boucher les trous de l’urbanisme » sur le littoral. Contourner l’interdiction de construire sous prétexte de créer des continuités urbaines.

Développement durable : mauvaise traduction de « sustainable development », le terme de « durable » permet de continuer sans remise en compte du modèle économique dominant contrairement à ceux de « soutenable », « viabilité », « pérennité ».

Eco-citoyen, Eco-comportement, Eco-conception, Eco-conduite, Eco-consommation, Ecoconstruction, Eco-emballage, Eco-geste, Eco-entreprise, Eco-industrie, Eco-mobilité, Eco-parc, Eco-tourisme, écoquartier, Eco-volontaire, Eco-et cætera (sur l’air de « aux armes citoyens ») ! C’est le grand verdissement. Tout est « éco ». Le préfixe désigne naturellement l’écologie et non l’économie. On en tartine à toutes les sauces. Comme si la planète était envahie de petits hommes verts. C’est le passeport qui ouvre toutes les portes, justifie tous les produits et activités.

Ecolos : c’est ainsi que les journalistes et autres élus désignent les écologistes élus démocratiquement. Pourtant personne n’oserait appeler communément les communistes « Cocos » ou les socialistes « Socialos ». Au fait c’est quoi le diminutif pour les « républicains » ?

Ecologie industrielle : L’écologie on connait : c’est l’étude des milieux où vivent les êtres vivants, ainsi que des rapports de ces êtres avec le milieu. L’industrie on connait : c’est l’ensemble des activités économiques qui produisent des biens matériels par la transformation et la mise en œuvre de matières premières. On met l’écologie et l’industrie dans un chapeau, on secoue et il en sort… une « notion et une pratique récente du management environnemental visant à limiter les impacts de l’industrie sur l’environnement ». Ah quand même… 

Ecologie punitive (et écologie positive) : concept pourri s’il en est qui stigmatise l’écologie, et vise à délégitimiser l’autre. Il y aurait donc une écologie négative portée par des gens malintentionnés. Et une écologie vertueuse, celle du modèle dominant, de la seule croissance qui soit, celle du PIB. Remise au goût du jour en 2014 par Ségolène Royal, l’écologie punitive est régulièrement reprise par la classe politique de l’extrême droite (Le Pen, Bardella, Zemmour…) à la droite dure (Pécresse, Wauquiez…) et jusqu’au centre droit (Castex, Attal…).

Eco-terrorisme : permet de disqualifier les manifestants écologistes contre les méga-bassines ou les nouvelles autoroutes. Des agriculteurs qui déversent des tombereaux de fumier devant une préfecture, barrent une autoroute avec des pneus brûlés ou dégradent des bâtiments publics sont des « paysans en colère ». Des centaines de familles qui manifestent pacifiquement dans les champs sont assimilés aux quelques dizaines de black blocs qui s’y infiltrent. Certains, encore moins « subtils », utilisent des insultes comme « Ayatollah en baskets vertes » ou « Khmers verts ».

Economie circulaire : c’est un peu comme le mouvement perpétuel. Ou la multiplication des petits pains. On n’épuise plus les ressources de la terre puisque l’économie s’auto-suffit. La définition sur Wikipédia vaut le détour : « L’économie circulaire est un nouveau modèle économique à vision systémique. Les notions d’économie verte, d’économie de l’usage ou de l’économie de la fonctionnalité, de l’économie de la performance et de l’écologie industrielle font partie de l’économie circulaire ».

Ecosystème de l’entreprise : « L’écosystème d’entreprise ou écosystème professionnel est une notion qui permet d’appréhender les nouveaux rapports qu’entretiennent les entreprises d’un même territoire ou d’un secteur spécifique ». En voilà un bel oxymore ! Quel rapport avec l’unité écologique de base formée par le milieu (biotope) et les organismes qui y vivent (biocénose) ?

Une représentation de l’écosystème de l’entreprise

Energie renouvelable (ou énergie verte) : revoilà le mouvement perpétuel. Ou la théorie de la multiplication des petits pains. Comme si les composants des panneaux solaires et autres éoliennes industrielles, et pire encore des batteries, étaient renouvelables… En voilà une justification pour consommer toujours plus. Pour ne pas changer de comportement.

Enfouissement des lignes : EDF a réussi au fil des années à proscrire le mot « enterrement » au profit d’enfouissement.

Espèce exotique envahissante : pas complètement faux-cul mais très réducteur, cette notion laisse entendre qu’il y aurait de bonnes espèces, autochtones, et des mauvaises ayant passé la frontière. Comme si les espèces n’avaient pas toujours migré au gré des aléas notamment climatiques avec les ouragans.

Espèce susceptible d’occasionner des dégâts : le concept d’ESOD a remplacé celui de « nuisible » à l’occasion de la loi de 2016 sur le renforcement de la protection de la biodiversité. L’intention était bonne mais le résultat est le même, à savoir qu’il y a une liste d’espèces qu’il est facile et recommandé de détruire.

 Eviter réduire compenser : « éviter » a remplacé le concept du scénario 0 des années 70, c’est-à-dire celui du renoncement au projet. Et « compenser » laisse à penser qu’on peut toujours remplacer ce qu’on a détruit, y compris ailleurs. Il s’agit bien souvent d’un droit à détruire. Il n’y a plus de « bons » ou « mauvais » projets. Ils sont tous à priori « bons » pourvu qu’on se donne la peine de les faire correctement. Y compris l’autoroute A69 entre Toulouse et Castre.

Ferme éolienne : nouvel oxymore. Les éoliennes d’aujourd’hui sont des équipements industriels. Certes ce sont les territoires ruraux et naturels qui sont les premières victimes d’un point de vue paysager. Mais on est loin de la micro-éolienne qui alimentait le puit au fond du jardin. Le but des éoliennes industrielles n’est sûrement pas de rendre les utilisateurs indépendants.

   

Gestion adaptative : quand une espèce est en mauvais état de conservation, on devrait arrêter de la chasser. Pour éviter d’en arriver à cet extrême insupportable, le ministère normalement en charge de l’écologie et l’Office français de la biodiversité promeuvent le concept de « gestion adaptative ». On doit toujours pouvoir chasser toutes les espèces juridiquement chassables. Juste on tire moins quand elles sont sur le point de disparaitre…

Grenelle de l’environnement : un magnifique tour de passe-passe que l’on doit à Jean-Louis Borloo. En référence aux « accords » négociés les 25 et 26 mai, en pleine crise de mai 1968, par les représentants du gouvernement Pompidou, des syndicats et des organisations patronales. Le Grenelle de l’environnement s’est tenu en 2007 et a donné lieu à la loi de programmation du 3 août 2009 dite « Grenelle 1 ». Les financements et les modalités d’exécution des dispositifs énoncés dans la loi Grenelle 1 sont précisés dans la loi dite « Grenelle 2 » du 12 juillet 2010. Autant les accords de Grenelle comportaient des avancées sociales, inédites depuis la Libération, autant le Grenelle de l’environnement est un catalogue de promesses non tenues. Le Grenelle porte l’idée qu’il suffit de se parler entre les différents corps de la société pour trouver un terrain d’entente. Comme s’il était possible de dessiner un projet ambitieux pour la Nature avec le MEDEF, la FNSEA et la FNC pour ne citer qu’eux.

Depuis les « Grenelle » fleurissent : Grenelle sur les violences conjugales, Grenelle sur les violences sur les mineurs, Grenelle de la Mer, Grenelle de l’Insertion, Grenelle de la Santé… « Mais on va faire un Grenelle de la grenouille et un Grenelle de l’escargot et tout ira mieux ». — (site.eco-citoyen.org/eaux-douces-en-france-et-pollutions)

Haute-Valeur Environnementale : sous norme environnementale obtenue par les lobbies agricoles, mise en place par le ministère de l’Agriculture et reprise dans la dernière politique agricole commune https://www.lpo.fr/qui-sommes-nous/toutes-nos-actualites/articles/actus-2022/comprendre-la-certification-haute-valeur-environnementale

Luxe frugal : les entreprises du luxe elles-mêmes veulent verdir leur image. https://www.europastar.ch/le-dossier/horlogerie-et-environnement/1474-le-luxe-frugal-oxymore-ultime.html C’en est indécent quand on s’intéresse aux coûts écologiques et sociaux du secteur du luxe.

Mine durable : et Dieu y pourvoira. https://www.responsiblemines.org/fr/mines-durables/  « Un écosystème collaboratif pour renforcer les synergies entre mineurs, industrie minière, exécutants, gouvernements, coopérations pour le développement et fondations philanthropiques, pour le bien de tous ». Ça ne peut pas s’inventer !

Nature en ville : on ne dit plus « Nature », sauf en ville. Allez comprendre… Alors que justement, contrairement au terme de biodiversité, celui de nature introduit la notion de milieux, d’écosystèmes. Après vous me direz on a bien créé le concept d’écosystème urbain, d’écosystème de l’entreprise, d’écosystème d’affaires, d’écosystème de Google…

Tout est dans la nature, la nature est dans tout, surtout là où elle a disparu.

Planification écologique : oh le vilain mot ! L’écologie, c’est l’étude des milieux, des espèces et des interactions en évolution permanentes, l’observation, la contemplation, l’apprentissage de la modestie devant tant de complexité. La planification c’est l’organisation par les pouvoirs publics d’une politique, une stratégie écrite à l’avance. La planification est le meilleur moyen d’agir sans rien faire de concret.

Plastique biodégradable : tout l’intérêt du plastique est, était, de ne pas se dégrader. Encore un oxymore pour tenter de sauver un matériau délétère pour l’environnement. Question de survie…

Prélèvement : on ne tue pas un loup, on le prélève. Synonymes détacher, extraire, retirer, retrancher. Oter la partie d’un tout. On prélève l’impôt aussi mais on vous le rend sous forme de routes ou d’écoles. Qui nous rendra les dizaines de loups injustement tués

Recyclable : il y a plein d’emballages recyclables dans la nature. Ce terme, et les logos qui y sont associés, permettent de déculpabiliser le consommateur. Voir l’Echo des terriers n°29 du 4 octobre 2024.

Reconquête de la biodiversité : à l’attaque ! Il s’agit d’une formule tellement à la mode qu’elle a donné son nom à la loi « pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages » approuvée le 8 août 2016. Ce serait déjà extraordinaire d’arrêter seulement l’effondrement du vivant, alors de là à « reconquérir » … Reprendre après avoir perdu… comme si tout était « rattrapable » !

Résilience : un mot magique, comme l’ardoise du même nom. La Nature a la capacité de réparer nos bêtises. Ça nous laisse encore du temps. Nos actes ne sont pas irrémédiables.

Transition écologique : on va changer c’est sûr, mais sans modifier le cap. Donnons-nous un peu de temps, histoire de ne fâcher personne, de ne remettre aucun intérêt en cause. « Passage, à l’échelle d’une société, à des modes d’habiter et des systèmes productifs plus durables » ; « permettre un développement durable et soutenable » ; « période d’adaptation qui permet de choisir de nouveaux schémas énergétiques favorisant les énergies renouvelables » …

Technicien de surface : on ne dit plus « balayeur » mais « technicien de surface » depuis longtemps déjà. Car l’une des motivations de l’évolution linguistique est le « politiquement correct ».

Voiture propre : et pour finir un magnifique oxymore. Une voiture n’est pas propre, y compris et d’autant plus que son propriétaire la nettoie. Elle pollue lors de sa fabrication, puis en fonctionnement. Les voitures dites électriques n’échappent pas à la règle, même si une partie de la pollution est externalisée (centrale nucléaire avec ses risques et ses déchets, barrages hydroélectriques qui détruisent les cours d’eau, panneaux photovoltaïques qui artificialisent les sols, éoliennes et leurs impacts multiples…). 

Nous sommes arrosés de concepts et produits bio, éco, verts… il y a de quoi devenir chèvre. Peinturlurés du sol au plafond. Dans la rue, à la maison, à la télé ou la radio. De quoi perdre la Foi. Ceux qui en ont fait leur métier en mangent matin, midi et soir au point de regretter de ne pas s’être investis dans le social.

A propos de social, message de l’Echo des Terriers à nos amis qui luttent admirablement et heureusement pour des enjeux humanitaires : certes Noël approche, mais vraiment ne pourriez-vous arrêter de nous inonder de stylos en plastique ? En voulant nous rendre redevables, non seulement vous nous faites regretter notre générosité mais vous contribuez à détruire l’environnement avec vos « goodies » non durables. C’est un cadeau empoisonné que nous n’osons même pas mettre dans la poubelle jaune.

Amis lecteurs vous voulez agir concrètement ? Vous brûlez d’envie d’aider les busards cendrés et autres Pie-grièche ? Vous aimez les grands rapaces et ne savez pas comment contribuer à leur protection ? A moins que vous ne préfériez soutenir les loutres et autres crapauds sonneurs à ventre jaune ? C’est ici que vous pouvez donner https://www.helloasso.com/associations/lpo-auvergne-rhone-alpes/collectes/aider-la-lpo-a-sauver-les-especes-menacees-en-aura C’est déductible des impôts, et vous ne recevrez pas de stylo à l’effigie de la LPO !

Rubrique « haut les cœurs » ou plutôt « haut le cœur », un évènement de culture cynégétique à ne pas louper demain matin :

L’Echo des terriers