Photographe, biologiste marin, plongeur… Laurent Ballesta porte de nombreuses casquettes qui l’ont, depuis une dizaine d’années, propulsé sur le devant de la scène du documentaire marin. Après avoir impressionné les spectateurs en nageant avec 700 requins gris en Polynésie, en filmant la reproduction des mérous ou en plongeant sous la banquise de l’Antarctique, l’équipe scientifique «Gombessa», qu’il dirige, nous propose cette fois d’explorer les profondeurs de la Mare nostrum dans «Planète Méditerranée», un documentaire à voir cette semaine mais aussi un ouvrage à paraître à l’automne. Le Montpelliérain a cette fois choisi d’explorer «sa» mer «presque par provocation» : «je voulais surprendre avec un lieu dont on pense qu’il n’y a plus rien à découvrir», souriait-il lors d’une conférence de presse cet été.

Ancien de l’équipe d’«Ushuaïa Nature», Ballesta s’est donc entouré de trois plongeurs avec lesquels il s’est isolé un mois durant dans une minuscule capsule jaune de 5m2, dite station «bathyale». Utiliser des moyens de plongée souvent réservés à l’industrie pétrolière à des fins scientifiques, telle était la nouveauté de cette opération. Confinés avant l’heure (l’expédition a eu lieu à l’été 2019) dans des conditions visiblement difficiles, ces quatre «aquanautes» ont été soumis à une pression équivalente à 120 mètres de fond (13 fois supérieure à celle en surface). Impossible de sortir, impossible de s’isoler. En revanche, dans leur vaisseau rempli de 3% d’oxygène et 97% d’hélium, les plongeurs – dont la voix est sensiblement modifiée par le gaz – n’avaient plus de limite de temps de plongée à grande profondeur, comme si l’organisme restait «au fond». Au final, grâce à ces moyens techniques colossaux, les membres de l’équipe ont cumulé à eux quatre 400 heures de plongée entre 60 et 145 mètres de profondeur. Et des heures d’images inédites.

Derrière la caméra, c’est un ancien complice de Ballesta, Gil Kebaïli, qui réalise le cinquième volet de la série documentaire (1). Un «énorme challenge», selon son expression puisque «l’idée, pour filmer des gens enfermés dans une boîte en métal à qui je n’ai pas eu accès pendant 28 jours, a été de faire un « Loft » avec une quinzaine de caméras afin de ne rien rater».

Pendant 95 minutes, on suit donc la barge qui transporte les plongeurs au large des côtes, de Marseille à Monaco, et pourtant «dans un autre monde», souffle Laurent Ballesta. Car derrière l’ambiance légèrement anxiogène de ces plongées de l’extrême, l’heure est au grand spectacle. Les récifs coralligènes, refuges pour la biodiversité, se dévoilent dans la zone crépusculaire où la lumière du soleil parvient à peine. Des centaines d’espèces s’y abritent, dont certaines jusque-là jamais photographiées, comme le calmar veiné, le barbier perroquet, ou l’araignée élégante. Roches des calanques, forêt de corails noirs, champs de laminaires, épave du Natal coulé en 1917, les paysages se succèdent à l’écran.

Au bout de l’aventure, après vingt ans de maturation, l’expédition, le film, et le traitement de données scientifiques, auront coûté pas moins de 2,7 millions d’euros. Le photographe médiatique entend «créer une vague d’enthousiasme autour de la Méditerranée» en dépit des pollutions qui l’abîment durablement. Car la beauté des paysages ne saurait faire oublier aux téléspectateurs que cet écosystème est particulièrement menacé et fragilisé par le réchauffement.

(1) A voir samedi 19 septembre à 20h50 sur Arte et sur arte.tv du 12 septembre au 17 novembre.

Libération-14/09