Une vaste étude américaine montre que la menace des insectes et pathogènes invasifs dans les forêts diminue dès lors que plus de 35 essences différentes y poussent.
Les deux chercheurs sont coauteurs d’une étude d’une ampleur inédite parue lundi 25 mars dans les Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), qui décortique la relation entre la biodiversité des arbres au sein des forêts et la présence de ravageurs exotiques. Menée à l’échelle du territoire des Etats-Unis (sauf l’Alaska et Hawaï, physiquement séparés des autres Etats) et sur plusieurs dizaines d’insectes et de pathogènes non indigènes, elle montre qu’espèce invasive ne signifie pas forcément fléau invincible : lorsque les forêts sont suffisamment riches en essences indigènes, elles sont en effet moins sujettes aux invasions de ravageurs.
Plus précisément, les chercheurs montrent la coexistence de phénomènes de facilitation et de dilution : lorsqu’une forêt comprend très peu d’essences, la diversité des nuisibles est facilitée par la présence d’essences supplémentaires, certaines étant la cible des parasites. Mais à partir de 35 essences différentes, plus une forêt est riche et plus la chance est grande de diluer le contingent d’arbres hôtes, ce qui complique l’installation des nuisibles.
D’autres scientifiques s’étaient déjà attelés au sujet, mais à plus petite échelle et sur un faible nombre de parasites. Ici, les chercheurs se sont appuyés sur la base de données « la plus complète au monde », salue Jérôme Chave, écologue au CNRS (laboratoire Evolution et diversité biologique de Toulouse), qui n’a pas participé à l’étude. Il s’agit du Forest Inventory and Analysis, tenu par le service des forêts du département américain de l’agriculture et qui recense les espèces d’arbres de 2 098 comtés, soit plus de 130 000 parcelles forestières.
Pertes d’arbres aux conséquences multiples
Ce type de suivi minutieux est crucial pour les Etats-Unis, qui sont sujets de longue date à des attaques de ravageurs. Au début du XXe siècle, des milliards de châtaigniers américains ont ainsi été détruits par un champignon provenant d’Asie, le chancre de l’écorce.
Plus récemment, certains insectes comme l’agrile du frêne ou le puceron lanigère de la pruche, également originaires d’Asie, ont causé des dégâts considérables dans les écosystèmes forestiers. La perte de ces arbres a des conséquences multiples. Dans le cas de la pruche, par exemple, qui est une espèce commune des cours d’eau, sa disparition a un impact majeur sur les habitats des poissons et des autres organismes qui dépendent de cet environnement, déplore Kevin Potter.
La situation en Europe semble encore plus critique. Alors que les forêts américaines peuvent comporter jusqu’à 70 essences différentes, « il est rare d’avoir, en Europe, des forêts avec plus de 6 ou 7 espèces en mélange », souligne en effet Hervé Jactel, directeur de recherche à l’INRA et coordinateur d’un projet de recherche sur la résistance des forêts européennes aux invasions biologiques.
En outre, note-t-il, de nombreux genres de plantes et d’arbres sont communs à l’Europe et aux pays asiatiques, ce qui rend les forêts européennes encore plus vulnérables aux ravageurs exotiques provenant d’Asie, qui s’adaptent facilement. D’autant que l’accélération du trafic de marchandises lié à la politique de développement chinoise dite des « nouvelles routes de la soie » « augmente de façon considérable le risque d’introduction de nouvelles espèces », souligne le chercheur.
A cela s’ajoutent les effets du changement climatique : avec l’augmentation des températures en Europe, les espèces venant d’Asie subtropicale trouveront dans les contrées européennes des conditions favorables.
Dans ce contexte d’invasion biologique difficilement contrôlable, « il faut absolument renforcer la capacité de résistance des écosystèmes forestiers », estime Hervé Jactel. Selon lui, cela passe à la fois par la préservation de la biodiversité actuelle (en évitant de ne sélectionner que les arbres qui poussent vite, mais aussi les espèces d’accompagnement, qui offrent une résistance aux nuisibles), et par davantage de « multifonctionnalité » dans les nouvelles forêts de plantation, afin de passer du seul objectif de production à la mise en place de forêts à la fois productives et résistantes.
photo : Lorsqu’une forêt (comme ici dans le Colorado) comprend très peu d’essences, la diversité des nuisibles est facilitée par la présence d’essences supplémentaires. (c) Dominique Delfino / Biosphoto / (c) Dominique Delfino / Biosphoto