Face au recul des espaces naturels, certains défenseurs de l’environnement rêvent de rendre à la planète son caractère sauvage. Une solution contre la disparition des espèces animales et végétales. Mais aussi une piste à suivre pour atténuer les effets du dérèglement climatique.
Les signaux de détresse lancés par notre planète sont à s’en crever les tympans. Les côtes s’érodent à cause de la montée des eaux. Les océans s’acidifient. Les émissions de gaz à effet de serre dérèglent le climat. Un climat, au chevet duquel la communauté internationale se rend depuis lundi, dans le cadre de la COP 25 de Madrid. La liste des S.O.S. est encore longue et réclame une ouïe très fine pour entendre celui des zones sauvages, dont la surface se réduit comme peau de chagrin.
Entre 1993 et 2009, 3,3 millions de kilomètres carrés – soit la surface de l’Inde – ont perdu leur caractère sauvage, selon une étude publiée l’année dernière dans la revue scientifique « Nature » par des chercheurs de l’université du Queensland (Australie). Les espaces sauvages ne représentent plus que 23 % de la surface terrestre (hors Antarctique). C’était 85%il y a un siècle. En cause : l’étalement urbain, la déforestation, l’exploitation agricole et les premiers effets du réchauffement climatique.
Selon une étude parue dans « Nature », il ne reste plus que 23 % de surfaces émergées intactes sur Terre (en bleu foncé).James E. M. Watson, James R. Allan/Nature
Les conséquences sont dévastatrices pour la faune et la flore. Des scientifiques estiment qu’une sixième extinction massive des espèces animales et végétales est en cours. Selon François Sarrazin, professeur en écologie de la conservation à Sorbonne-université, « la pression exercée par l’humain sur les habitats, notamment des animaux, est la principale cause de perte de biodiversité dans le monde ». Pour résoudre cette crise de la biodiversité, certains défenseurs de l’environnement rêvent alors de « réensauvager » le monde.
Réintroduction d’animaux
Le « ré-ensauvagement » réside dans la réintroduction de grands mammifères disparus ou menacés, comme l’ours ou le bison. Avec leur retour dans la nature, un nouvel écosystème plus riche et plus résilient pourrait se reconstituer.
Le « rewilding », comme l’appellent les Anglo-Saxons, « a émergé ces vingt dernières années comme un nouveau paradigme de la conservation de la nature », explique un spécialiste dans un documentaire diffusé sur Arte mi-2019, consacré au sujet. Tout aurait démarré en Amérique du Nord, dans les années 1990, chez les partisans de l’écologie profonde. Ce n’est peut-être pas un hasard si les Etats-Unis sont devenus le cas le plus emblématique avec la réintroduction du loup gris dans le parc national de Yellowstone en 1995.
Un Loup gris aperçu dans le parc national de Yellowstone, en février 2006.HOPD/AP/Sipa
L’ONG Rewilding Europe, fondée en 2011 aux Pays-Bas, est l’une des plus à la pointe. Elle soutient huit projets pilotes de ré-ensauvagement ou de conservation des espèces. Dans les Carpates du Sud, par exemple, elle collabore avec WWF Roumanie pour réintroduire le bison européen, disparu il y a environ 200 ans de l’état sauvage. Transportés depuis des zoos, les premiers bovidés ont été relâchés en 2014. D’autres réintroductions ont suivi. Début décembre 2019, compte tenu des naissances et des décès, le nombre total de bisons s’établit à 60. L’ONG espère créer une population de 500 ruminants d’ici à 2025.
Libre évolution
En France, les réintroductions d’animaux sont plus délicates. Elles suscitent bien souvent l’opposition farouche du monde pastoral qui dénonce les attaques de brebis par l’ours et le loup. Mais le sujet avance sous l’impulsion, là encore, de la société civile. L’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas)vient de signer pour 2,35 millions d’euros l’acquisition d’un ancien terrain de chasse privé à Léoncel, dans la Drôme. Cette zone de 490 hectares sera intégralement rendue à la nature. C’est l’autre facette du réensavaugement, qui consiste à libérer des espaces autrefois pilotés par l’humain, pour y laisser la faune et flore évoluer librement.
Un Chamois, photographié dans la réserve du Grand Barry (Drôme).Rémi Collange/Aspas
L’Aspas n’est pas à son premier coup d’essai. Dans les 130 hectares qu’elle possède depuis 2012 dans la réserve du Grand Barry (Drôme), les bénévoles ont observé le retour du chamois, du blaireau, de l’aigle royal… et même le passage du loup. « Quand on soustrait toutes les activités humaines dérangeantes, comme la chasse, l’exploitation forestière et l’agriculture, les animaux reviennent », apprécie Madlin Rubin, directrice de l’association. Seules les promenades y sont autorisées pour ne pas mettre la nature sous cloche. Moins de 1 % du territoire bénéficie de ce niveau de protection en France, garant du caractère vraiment sauvage. Une goutte d’eau.
Réchauffement climatique
Mais les gouttes d’eau se révèlent parfois bien utiles, en particulier pour contrer les effets du réchauffement climatique. Avec la hausse des températures, les feux de forêt se multiplient sur la planète. Une étude publiée en octobre 2018 par des chercheurs de l’université de Tasmanie (Australie) observe que le déclin récent des grands herbivores pourrait amplifier ce phénomène.
Faut-il les réintroduire ? Le Portugal s’y est mis. Dans la vallée de Côa, où les incendies sont fréquents, chevaux sauvages et taureaux ont été réintroduits sur d’anciennes terres agricoles recouvertes de jeunes forêts monotones ou de garrigues denses, inflammables à la moindre étincelle l’été. Ces animaux agissent comme un pare-feu en dévorant la végétation.
D’autres scientifiques, comme le révèle un article de l’Obs il y a un an, imaginent la réimplantation de plus grands herbivores, comme l’éléphant et l’hippopotame. Dans le Grand Nord, élans et bisons permettraient de lutter contre le dégel des territoires arctiques. En broutant la végétation, ils empêcheraient les sols de monter en température et de libérer le méthane qu’ils contiennent, un puissant gaz à effet de serre. « Nous menons une guerre contre la nature, a l’habitude de dire l’astrophysicien Hubert Reeves. Si nous la gagnons, nous sommes perdus. » Et si elle gagne, sommes-nous sauvés ?
L’Amazonie, trésor en péril
Les images ont fait le tour du monde. Cet été, l’Amazonie, la plus grande forêt tropicale du monde, a été touchée par d’importants incendies. Le « poumon de la Terre », situé au carrefour de neuf pays, dont le Brésil, est l’un des plus grands « puits de CO2 » de la planète et un important producteur d’oxygène. Il est aussi un trésor de la biodiversité, en grand danger.
La forêt amazonienne, couvrant plus de cinq millions de kilomètres carrés, abriterait de 50 à 70 % de la biodiversité mondiale. Environ un quart des espèces animales et végétales y ont élu domicile, dont 2,5 millions d’espèces d’insectes, 30.000 espèces de plantes, 2.500 de poissons, 500 de mammifères et 550 espèces de reptiles, d’après l’Organisation du traité de coopération amazonienne (Otca).
Cette forêt, dont une partie est inscrite sur la liste du patrimoine mondiale de l’Unesco, n’est pas seulement régulièrement en proie aux incendies. Elle est aussi menacée par la déforestation, en raison de l’agriculture, de l’élevage et des activités minières. Selon les chiffres de l’ONG WWF, près de 20 % de la forêt amazonienne a disparu en cinquante ans. Le phénomène s’accélère depuis l’investiture du climatosceptique Jair Bolsonaro à la tête du Brésil. Selon l’Institut national de recherche spatiale (INPE), 7.853 kilomètres carrés ont été déboisés entre janvier et septembre de cette année, contre 4.075 kilomètres carrés sur la même période en 2018, soit une augmentation de 93 %.
Kévin Badeau/Les Echos, 2 déc. 2019
photo bison : Le « réensauvagement » réside dans la réintroduction de grands mammifères disparus ou menacés, comme le bison. Diana Buzoianu/Solent New/Sipa