Les chercheurs de l’Ifremer ont voulu connaître les raisons pour lesquelles les captures de ces petits poissons ont été divisées par dix et pourquoi ils disparaissent, épuisés, à l’âge adulte.
Les sardines sont l’un des poissons les plus pêchés au monde. Or depuis les années 2000, les tonnages diminuent de façon drastique dans le golfe du Lion où la mer Méditerranée est pourtant la plus productive. Les pêcheurs rapportaient encore 10 000 à 14 000 tonnes de sardines par an dans les années 1990. Après une dégringolade très rapide, ils n’en comptabilisent plus qu’un millier par an depuis 2010. Selon les registres de débarquement qui remontent à 1865, les prises n’ont jamais été aussi faibles.
Or ces petits poissons pélagiques n’y sont pas moins nombreux, mais leur corpulence diminue fortement. Leur taille est passée de 15 à 11 centimètres et leur poids de 30 à 10 grammes depuis le milieu des années 2000. Et les adultes – âgés d’au moins 2 ans chez une espèce qui peut vivre jusqu’à 7 ans – ont disparu.
L’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) a voulu savoir pourquoi. Il a présenté, lundi 8 novembre, les principales conclusions de son travail mené au sein de l’unité mixte de recherche Marbec (qui regroupe plusieurs organismes et universités sur la conservation et l’exploitation de la diversité marine) et financé notamment grâce au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, le Feamp. « Nous avons pensé dans un premier temps qu’il s’agissait d’un changement transitoire », témoigne Jean-Marc Fromentin, chercheur à Ifremer, qui a contribué à ce travail. Mais la fonte du stock de sardines – comme celui des anchois, un autre pélagique –, s’est avérée durable. Est-elle la conséquence d’une surpêche caractérisée ? Ou bien un phénomène causé par l’appétit d’un prédateur, comme le thon rouge qui se porte mieux lui-même ou le dauphin, ainsi que l’envisagent certains pêcheurs ? Ou encore les dégâts dus à une ou plusieurs épizooties ?
Diminution du plancton
L’affaire a été prise très au sérieux. Le projet Mona Lisa (Recherches sur les fortes mortalités naturelles et les indicateurs pour la gestion des stocks de sardines et d’anchois de Méditerranée) a débuté dès 2014. La première étape a consisté à tester toutes ces hypothèses. Et à les écarter une par une. Sardines et anchois sont peu pêchés sur les côtes méditerranéennes françaises à la différence de l’Italie ; les thons n’entament que de 1 % à 2 % de ce stock de pélagiques et aucun virus particulier n’a été repéré dans la durée. Les chercheurs en sont arrivés à conclure que si les sardines sont moins grosses, c’est parce qu’elles mangent moins et si elles jeûnent c’est que le plancton – plus petit, moins riche et moins fourni – a lui-même diminué d’environ 15 %.
Pour en savoir davantage, ils ont acclimaté 450 sardines âgées d’un an, capturées en mer avec l’aide des pêcheurs professionnels, dans huit bassins à la station expérimentale Ifremer de Palavas-les-Flots, dans l’Hérault, pendant sept mois, avec des protocoles différents. Ils ont ainsi observé que bien nourries, ces poissons pouvaient retrouver leur embonpoint en trois mois. « Les sardines sont capables de s’adapter aux nutriments disponibles dans leur environnement, expose Jean-Marc Fromentin. Lorsque ceux-ci sont d’une taille suffisante, elles les gobent, mais lorsqu’ils deviennent trop petits, elles se mettent à les absorber en les filtrant. Cela leur demande de se déplacer deux à trois fois plus, ce qui les épuise. La taille des nutriments compte donc autant que la quantité. »
Claire Saraux (CNRS) rapporte de son côté avoir été surprise de constater qu’« une sardine recevant des aliments de petite taille doit en avoir une double portion pour grandir » au même niveau qu’une de ses congénères ayant eu des nutriments de grande taille. Ces efforts démesurés pourraient expliquer la disparition des sardines adultes, qui meurent faute des réserves nécessaires pour se remettre après la reproduction. « Cependant elles s’adaptent : avant, elles devenaient matures lorsqu’elles atteignaient 12 cm ou 13 cm. Après 2007, elles se sont mises à se reproduire bien plus jeunes, lorsqu’elles mesurent 9 cm ou 10 cm », indique Jean-Marc Fromentin.
Changement climatique
Le programme Mona Lisa a par ailleurs permis d’établir que la production moindre de microalgues ne correspond pas à une fluctuation cyclique comme il s’en produit dans d’autres mers, mais semble bien lié au changement climatique, ou plutôt à l’ensemble des conditions environnementales que celui-ci influence. L’élévation de la température moyenne – celle-ci a augmenté globalement de 0,5 °C en trente ans en Méditerranée – n’est qu’un des facteurs. Comptent aussi le ralentissement de l’azote et du phosphore apportés par le Rhône (grâce à des efforts d’assainissement de l’eau entre autres) et son moindre débit, l’évolution du régime des vents, de la circulation des masses d’eau, de la stratification des couches entre le fond et la surface. L’équipe de chercheurs note que toutes « les conditions environnementales ont largement changé dans le golfe du Lion » affectant la concentration de chlorophylle à partir de 2007, comme ils l’ont détaillé dans la revue scientifique Progress in Oceanography (Elsevier) en 2020.
La question se pose désormais pour les autres espèces de poissons. Vont-elles décliner ensemble de la même façon ? « C’est compliqué, répond Jean-Marc Fromentin. Nous avons étudié le sprat en parallèle qui, lui, a eu tendance à augmenter. La compétition entre espèces entre aussi en ligne de compte… D’ailleurs d’autres arrivent en remontant vers le nord : la daurade coryphée, le barracuda… » Il reste enfin un facteur à ne pas négliger : le large cocktail de contaminants déversés en mer. S’il reste peu étudié jusqu’à présent, ce n’est pas parce qu’il est sous-estimé mais parce que les analyses coûtent fort cher, glisse le chercheur.