Les défenseurs des loups, des ours ou les antipesticides militent dans un climat de plus en plus tendu.
Début juin, Pierre Rigaux découvrait un cadavre de renard sur le capot de sa voiture. Le naturaliste, ancien représentant du collectif CAP loup, publie régulièrement sur les réseaux sociaux des messages en faveur du prédateur, contre la chasse ou l’élevage intensif, « avec une liberté de parole ». Cette fois, il a reçu le soutien de l’ex-ministre de la transition écologique, Elisabeth Borne.
Mais le militant n’en est pas à sa première intimidation. « Il y a un an et demi, un homme est venu chez moi, il m’a montré une balle en me disant que, si je continuais à parler de chasse, je la recevrai, entre les deux yeux. J’ai été agressé alors que je devais répondre à une interview de France Télévisions à côté d’une manifestation d’éleveurs contre le loup. Pendant le con »nement, j’étais à pied au bord de la route quand deux chasseurs se sont arrêtés pour me menacer… C’est stressant », raconte-t-il, armant avoir déjà porté plainte contre une quinzaine de personnes pour menaces de mort.
Derrière ce témoignage, les actes d’intimidation minent, de longue date, le combat des défenseurs de l’environnement. Une série de cas récents alerte néanmoins le monde écologiste sur un possible ravivement des tensions. En janvier, par exemple, le documentariste Jean-Michel Bertrand s’est vu adresser plusieurs menaces de mort, après la sortie de son film « Marche avec les loups ».
Timidement protégées par l’Etat
Des lettres de menaces, l’Association de protection des animaux sauvages (Aspas) en reçoit aussi régulièrement. « Tous les moyens seront utilisés pour mettre [les amis des loups] hors d’état de nuire : saccage des locaux, harcèlement permanent, sabotage des voitures, matraquage si nécessaire, en commençant par les grands chefs (pour eux, direction l’hôpital) », prône, par exemple, l’une d’elles, reçue le 8 janvier 2019. La Frapna Drôme, branche locale de France Nature Environnement (FNE), a, elle, reçu en mai 2019 sa première menace de mort en plus de quarante ans d’existence, évoquant « des balles à sangliers pour les loups et les amis des loups ».
« Il y a une certaine accélération ces derniers temps, en particulier sur les dossiers du loup et de l’ours, et des pesticides », note Florence Denier-Pasquier, vice-présidente de FNE. La fédération fait ses comptes : depuis 2014, elle a recensé vingt-cinq cas d’intimidations de ses militants, des injures publiques aux menaces de mort en passant par les saccages de locaux.
Le tout dans un contexte où ces associations ne s’estiment que timidement protégées par l’Etat. Pour elles, la création de la cellule Déméter en octobre 2019 a marqué un tournant. Cette cellule cible toutes les atteintes au monde agricole : des vols et dégradations, en écrasante majorité, mais aussi des actes militants, comme les vidéos « lmées dans des élevages. Elle opère au moyen d’une convention signée entre la gendarmerie et deux des syndicats agricoles : la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et les Jeunes Agriculteurs (JA). Vendredi 31 juillet, l’organisation L214 a déposé une requête en référé-liberté auprès du tribunal administratif de Paris, pour demander la suspension des activités de la cellule Déméter, y voyant une entreprise d’« intimidation » à l’encontre des associations, notamment celles qui dénoncent les conditions de l’élevage industriel.
« Sentiment d’injustice »
« Cette cellule envoie un signal aux forces de l’ordre et aux procureurs, comme s’il y avait des citoyens à protéger plus que d’autres », s’indigne Florence Denier-Pasquier, évoquant « un fort sentiment d’injustice dans nos associations, qui choisissent de rester dans le respect du droit et le dialogue républicain ». FNE fait notamment le lien entre Déméter et une aaire récente, début juin, quand un juriste de l’association Sources et rivières du Limousin s’est vu convoquer par la gendarmerie : le parquet a ouvert une enquête contre lui pour violation de domicile alors qu’il répondait à une interview de France 3 sur des zones humides détruites par l’installation de serres de tomates. Le militant dément avoir empiété sur le terrain agricole, tout comme les journalistes présents.
Pour Etienne Gangneron, vice-président de la FNSEA, cette cellule n’est là « pour faire taire personne », mais justement pour éviter les violences, « pour que les agriculteurs ne se fassent pas justice eux-mêmes ». Concernant les pressions à l’encontre d’écologistes, le représentant syndical évoque « des faits très locaux. Il n’y a pas de mot d’ordre, on incite au contraire au dialogue ». Néanmoins, certaines fédérations départementales sont partie prenante d’actions musclées contre des associations. En février, par exemple, la FDSEA et les JA s’en sont pris au siège de FNE Midi-Pyrénées en lançant des œufs, des poubelles, de la paille et en taguant la façade, pour protester contre l’instauration de zones de non-traitement aux pesticides à proximité des habitations.
Plus indirectement, le président de la Fédération nationale des chasseurs, Willy Schraen, a récemment estimé, sur le site Chassons.com, qu’il y avait à propos des « antichasse »« quelques coups de poings dans la gueule qui se perdent ».« On est au paroxysme des tensions. Je n’appelle pas à la violence, mais je justifie la colère des gens », précise-t-il au Monde, évoquant des cabanes de chasse brûlées, ou des actions de militants qui « filment les chasses à courre. Lui-même est sous protection policière depuis qu’il a proposé, dans le même entretien, de piéger les chats à plus de 300 mètres des habitations.
Le rôle des organisations nationales est parfois plus discret. Ainsi en 2013, une lettre interne de la Fédération nationale ovine (FNO) avait appelé, sur le « dossier prédateurs », à organiser des « actions syndicales fortes » contre les associations environnementales. Le courrier suggérait notamment « d’aller porter les cadavres des animaux attaqués par le loup devant les sièges locaux de ces associations ». « Un autre président, une autre façon de faire », réagit-on aujourd’hui à la FNO, qui considère ces tensions comme « marginales » et « ne cautionne pas ces pratiques ».
Actions concertées par les syndicats, ou actes isolés, ces pressions peuvent en tout cas faire leur eet, dissuadant certains bénévoles, bridant certaines mobilisations. « On a mis des caméras devant le siège de l’Aspas, on prend ça au sérieux », note le porte-parole de l’association de protection des animaux, Marc Giraud. Début juin, en Ariège, une marche contre l’abattage illégal d’un ours a d’abord été interdite au motif qu’elle pourrait « créer des tensions entre les partisans de la réintroduction de l’ours et des acteurs du monde rural ». Le tribunal de Toulouse a suspendu l’arrêté, et la manifestation a « nalement eu lieu, sans heurts.
« Véritable omerta »
Mais l’incident n’a pas manqué de faire écho à une contre-manifestation houleuse, qui avait ciblé deux ans plus tôt un forum d’associations environnementales à la Bastide-de-Sérou, toujours en Ariège. L’accès au rassemblement, protégé par des CRS, avait été bloqué, des vitres de voiture brisées, et des menaces et « avertissements » criés par les organisateurs – soit le président de la Fédération de chasse et le porte-parole de l’Association pour la sauvegarde du patrimoine d’Ariège-Pyrénées, aujourd’hui président de la chambre d’agriculture. Des plaintes sont toujours en cours.
Aujourd’hui encore, l’association Ferus dénonce « une véritable omerta » autour de l’ours, qui frappe aussi des partenaires de l’association. « Des commerçants refusent nos achettes car on les menace de briser leur vitrine, des élus refusent de nous louer des salles… Et, surtout, les éleveurs ou bergers modérés qui s’eorcent de cohabiter avec l’ours sont victimes de pressions », accuse Patrick Leyrissoux, animateur du réseau Pyrénées de Ferus. Ces actes ne concernent, d’après plusieurs témoignages, qu’une minorité d’éleveurs, excédés par les attaques de prédateurs sur les troupeaux, sur fond de détresse de la profession.
Angela Bolis/Le Monde du 4 août
photo
: Marche blanche pour l’ours de l’Association de protection des animaux sauvages, à Foix, devant la préfecture de l’Ariège, le 20 juin. SEBASTIEN LAPEYRERE/HANS LUCAS VIA AFP