Proximité humains-non humains : quels risques pour la santé des animaux sauvages dans le contexte actuel de pandémie COVID-19 ? Par Sabrina Krief

Ecrit pour le MOOC de l’UVED « Vivre avec les autres animaux

« Le contexte actuel de pandémie de COVID-19 met plus que jamais en avant la contradiction que nous vivons actuellement dans notre relation à la faune sauvage.
Alors que les espaces de vie des animaux sauvages s’amenuisent au profit des activités humaines, que la biodiversité disparaît et que les urbains perdent le contact avec « la nature » et les non-humains qui l’habitent, pour certains au contraire, la proximité avec les animaux sauvages s’accroît. Poussés vers d’autres territoires par la disparition de leur habitat ou le changement climatique, en contact avec des exploitants forestiers, miniers ou des agriculteurs dont les champs empiètent toujours plus sur leurs habitats, des relations humains-non humains nouvelles se créent. Sources de conflits pour les ressources, elles sont également sources de risques au niveau sanitaire. Les virus et leur émergence dans des espèces et des lieux inédits illustrent particulièrement les enjeux et défis que pose cette proximité humains-animaux sauvages.

Les coronavirus chez les animaux

La vaste famille des coronaviridés comprend des virus responsables le plus souvent de syndromes respiratoires ou digestifs. En effet, les coronavirus infectent principalement les cellules épithéliales des muqueuses digestives et respiratoires. Les animaux, domestiques et sauvages, notamment les mammifères et les oiseaux, sont très fréquemment porteurs de coronavirus. Souvent ce portage est asymptomatique et les animaux peuvent transmettre le virus à des congénères sans qu’on puisse le détecter par des signes cliniques.

Comment les coronavirus peuvent-ils infecter une nouvelle espèce animale ?

On estime que 80% des animaux domestiques sont positifs à au moins un coronavirus mais la plupart affectent une seule espèce. Seuls quelques coronavirus sont connus pour passer des humains aux animaux. Le passage d’un virus spécifique d’espèce à une autre espèce peut se produire lors de contacts fréquents ou d’ingestions répétées. Des mutations et des recombinaisons (échanges d’une partie de génome entre deux coronavirus proches) peuvent alors se produire et entrainer l’apparition d’un nouveau virus capable de s’adapter à une espèce animale qu’il n’infectait pas auparavant.

Les coronavirus et le passage des animaux aux humains

Parmi les coronavirus que les animaux peuvent transmettre aux humains, on compte le MERS- CoV dont le réservoir est le dromadaire, le SARS-CoV dont les réservoirs sont des espèces de chauve-souris cavernicoles du genre Rhinolophus et le SARS-CoV2, le virus responsable du COVID-19. L’espèce animale à l’origine de ce dernier n’est pas encore identifiée. Le génome du SARS-CoV2, est une molécule d’ARN longue de 30 000 bases qui présente 96% d’identité avec le coronavirus d’une chauve-souris Rhinolophus affinis (Zhou et al. 2020) et 90% avec celui isolé d’un pangolin malais saisi par les autorités chinoises début 2019 (Manis javanica, Xiao et al. 2020). Cependant, quand on s’intéresse plus spécifiquement à une région de la protéine S codant pour le domaine de liaison au récepteur qui permet au virus SARS-CoV2 d’entrer dans les cellules humaines, l’identité atteint 99% pour le pangolin, alors que pour cette même région, l’identité n’est que de 77% pour Rhinolophus affinis. L’hypothèse d’une recombinaison entre le coronavirus de pangolin malais et celui de la chauve-souris rhinolophe ayant conduit à un nouveau virus, SARS-CoV2, capable d’infecter les humains est donc proposée (Hassanin, 2020). Cette recombinaison se serait produite dans un organisme dans lequel se trouvaient les deux coronavirus : une chauve-souris ou un pangolin à proximité l’un de l’autre ou bien une autre espèce réunissant les deux virus. Cependant, cette hypothèse est encore loin d’être vérifiée.

La proximité, facteurs d’émergence virale ?

Habituellement, en milieu naturel, chauves-souris et pangolins ne partagent pas la même niche écologique. L’une vit en hauteur, sur les parois des grottes, dans le cas des rhinolophes, l’autre, un petit mammifère insectivore couvert d’écailles, le pangolin, vit en forêt et se rencontre plutôt dans la partie basse des arbres. Les marchés dans lesquels des animaux sauvages vivants sont vendus, comme ceux de Wuhan où la pandémie de COVID-19 serait née, concentrent des espèces qui ne se côtoient pas habituellement, dans des espaces très réduits. Cette extrême promiscuité est un facteur favorisant le passage de la barrière d’espèce. Mais les étapes précédant ou suivant ces contacts rapprochés le sont également : l’élevage et le transport d’animaux sauvages dans de piètres conditions d’hygiène, entassés dans des cages, la préparation de la viande et la consommation de la chair ou de parties du corps de ces animaux porteurs favorisent les contacts à risque entre les humains et ces virus. Dans ces conditions, les animaux sont stressés et immunodéprimés, leurs fluides corporels se mélangent alors qu’ils excrètent dans leur environnement leurs agents pathogènes.

D’autres pratiques humaines exacerbent le risque d’exposition et d’émergence virale en particulier en contribuant à l’érosion de la biodiversité. On pourrait s’attendre à ce qu’avec la disparition des espèces hôtes s’éteignent leurs pathogènes. Nullement. Au contraire, les menaces qui pèsent sur eux favorisent parfois la dispersion des microorganismes pathogènes à d’autres espèces. Ainsi, par exemple, la destruction de l’habitat forestier et/ou le changement climatique poussent des individus et parfois des populations entières à changer d’habitat et/ou à côtoyer de nouvelles espèces animales et parfois les humains. La perte de biodiversité, loin de faire décroitre la diversité des agents pathogènes avec leurs hôtes ou vecteurs habituels, conduit les agents pathogènes à infecter de nouveaux hôtes.

Les coronavirus humains et les primates non humains

La proximité phylogénétique des humains et des grands singes favorisent également la transmission d’agents pathogènes et le passage entre ces espèces d’Hominidés. Des virus respiratoires humains tels que le virus respiratoire syncitial (HSRV), le rhinovirus C ou le métapneumovirus (HMPV) ont été à l’origine de mortalité détectée dans les groupes de chimpanzés habitués (Kondgen et al 2008 ; Scully et al 2018). Un épisode de transmission de coronavirus depuis des humains vers des chimpanzés a été rapporté dans la forêt de Tai en Coté d’Ivoire (Patrono et al. 2019). Sur ce site, pendant quelques jours, de la toux et des éternuements ont été observés chez 9 des 33 chimpanzés de la communauté de l’Est. Une étude génétique, réalisée à partir des fèces des chimpanzés, a permis de révéler la présence de coronavirus OC43 chez 11 chimpanzés, dont 6 avaient présenté des symptômes. Par ailleurs, avant de pouvoir observer ce groupe de chimpanzés dédiés à la recherche, les chercheurs subissent une quarantaine et des prélèvements, avant de commencer le suivi des chimpanzés. Ces prélèvements ne sont étudiés qu’en cas de pathologie chez les chimpanzés. Les écouvillons buccaux des personnes ayant été en contact avec les chimpanzés avant l’épisode de pathologie respiratoire ont révélé l’existence du coronavirus OC43 chez deux humains, dont un était porteur d’un virus exactement similaire génétiquement. Les deux individus étaient asymptomatiques. Ce cas montre que, même sans recombinaison ou mutation, un coronavirus humain peut infecter des chimpanzés et produire chez eux un syndrome respiratoire. Pendant cet épisode, les symptômes n’étaient pas sévères chez les chimpanzés …et encore moins chez les humains …qui étaient porteurs sains. Les auteurs de l’étude soulignent par ailleurs qu’on ne peut exclure une autre source de transmission (par exemple à partir des braconniers présents sur le territoire des chimpanzés) pour expliquer l’atteinte des chimpanzés.

Dans le cas de notre site d’étude, l’inquiétude est vive concernant les conséquences que le COVID-19 pourrait avoir sur les chimpanzés. En effet, les chimpanzés de Sebitoli, au Nord du parc national de Kibale en Ouganda, ont pour voisins les humains. Leur territoire est encerclé de champs cultivés et traversé par une route. Des braconniers et des chercheurs se déplacent au sein de la forêt où ils vivent. L’équipe de recherche que je dirige a pris des mesures strictes pour réduire au maximum les risques pour leur santé : notre équipe a été réduite, passant de 25 à 8 personnes. Elle restera confinée à la station de recherche, au sein du parc, sans contact avec les villageois pendant le temps nécessaire. Elle pratique un suivi distancié des chimpanzés (et des autres animaux sauvages) grâce aux cameras à détection de présence et seul un binôme, équipé de masques, gel hydroalcoolique, tenue de forêt désinfectée, localise les chimpanzés et dresse un bilan sanitaire pour confirmer l’état de santé des individus observés. Une patrouille anti-braconnage effectue ses rondes pour éviter que les braconniers ne profitent de l’absence des équipes de terrain pour mener des activités illégales, augmentant le risque de piégeage, la dégradation de la forêt (coupe illégale d’arbres…) et le risque sanitaire par proximité avec leschimpanzés.

Mais les risques encourus sont élevés également dans les zones partagées par les humains et les chimpanzés. Les chimpanzés et les humains se retrouvent au même moment (pendant la période de maturité du maïs) au même endroit, les zones cultivées : les uns habitent dans des huttes faites de bâches plastiques dans leurs champs, pour les protéger des incursions des animaux sauvages. Ils vivent dans de très mauvaises conditions sanitaires (pas de latrine, pas d’eau…), les autres viennent y chaparder du maïs (Krief et al. 2014). Cette situation concentre dans le temps et dans l’espace les occasions de rencontre et de passage de microorganismes dont certains pathogènes, comme nous l’avons déjà montré pour des parasites digestifs (Cibot et al. 2015a). Les bords de route sont également fréquentés par les chimpanzés (Cibot et al.2015b). Des lignes électriques longent la route et dessous, une bande d’environ 30 m est défrichée régulièrement. Les chimpanzés de Sebitoli apprécient la végétation tendre qui y pousse…. Par ailleurs, les humains qui circulent sur la route lancent chaque jour des kilos de déchets, organiques (comme par exemple des restes de fruits qu’ils ont consommés) et plastiques (des bouteilles de soda vides) avec des restes de salive, qui exposent les animaux du parc à des risques majeurs.

L’inquiétude est donc vive concernant les risques de contamination des primates par le SARS- CoV2 car depuis mars 2020, le virus se répand en Afrique sub-saharienne dans les pays de l’aire de répartition des grands singes.

Espérons que les mesures prises par les différents pays permettront de réduire sa diffusion chez les humains et que ce passage animal-homme datant de novembre ou décembre 2019 ne conduise pas à un retour du virus vers l’animal en infectant les grands singes. » Sabrina Krief

Illustration Rajako.org

Références

Cibot, M., Guillot, J., Lafosse, S., Bon, C., Seguya, A., & Krief, S. (2015a). Nodular worm infections in wild non-human primates and humans living in the Sebitoli area (Kibale National Park, Uganda): do high spatial proximity favor zoonotic transmission? PLoS neglected tropical diseases, 9(10).

Cibot, M., Bortolamiol, S., Seguya, A., & Krief, S. (2015b). Chimpanzees facing a dangerous situation: a high‐traffic asphalted road in the sebitoli area of kibale national park,

Uganda. American Journal of Primatology, 77(8), 890-900.

Hassanin A (2020). Covid-19 : l’analyse des génomes révèlerait une origine double du virus, The conversation, 17 mars 2020 https://theconversation.com/profiles/alexandre-hassanin- 997720/articles

Köndgen, S. et al. (2008). Pandemic human viruses cause decline of endangered great apes. Curr. Biol. 18, 260–264

Scully, E. J. et al. (2018) Lethal respiratory disease associated with human rhinovirus c in wild chimpanzees, Uganda, 2013. Emerg. Infect. Dis. 24, 267–274

Krief, S., Cibot, M., Bortolamiol, S., Seguya, A., Krief, J. M., & Masi, S. (2014). Wild chimpanzees on the edge: nocturnal activities in croplands. PLoS One, 9(10).

Patrono, L. V., Samuni, L., Corman, V. M., Nourifar, L., Röthemeier, C., Wittig, R. M., … & Leendertz, F. H. (2018). Human coronavirus OC43 outbreak in wild chimpanzees, Côte d ́ Ivoire,

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