La pollinisation des plantes par les insectes, indispensable pour l’équilibre des écosystèmes et notre alimentation, est souvent illustrée, à tort, par l’abeille domestique. Résumer ce service à une seule espèce revient à occulter toute la diversité et les millions d’années d’évolution dont il résulte. Longtemps plébiscitées, les initiatives visant à l’installation de ruches, en ville comme en pleine nature, sont aujourd’hui controversées.
L’abeille domestique (Apis mellifera) est, comme son nom l’indique, une espèce domestiquée, améliorée et exploitée par l’homme au même titre que le bétail. L’histoire évolutive d’Apis mellifera avant sa domestication commence en Asie, il y a environ 7,5 millions d’années. L’espèce s’est ensuite largement dispersée grâce à ses fortes capacités adaptatives vers les continents africain et européen, puis a divergé en une multitude de sous-espèces pendant la dernière glaciation (de 38 000 à 13 000 ans avant le présent), quand ses populations se sont retrouvées séparées. Sa relation avec l’homme est vraisemblablement très ancienne, avec la recherche de colonies sauvages pour collecter le miel. Les plus anciennes traces de fixation des colonies, signes d’une domestication de l’espèce, ont été trouvées en Anatolie et datent d’il y a un peu plus de 10 000 ans. C’est à partir du XVIIe siècle que l’apiculture s’est fortement intensifiée, avec des échanges de colonies sur l’ensemble du globe. Au cours de sa domestication, Apis mellifera a été sélectionnée de nombreuses fois pour optimiser sa production de miel, son caractère docile et son acclimatation aux différents contextes climatiques. On dénombre aujourd’hui près de 28 sous-espèces élevées partout dans le monde.
L’ABEILLE DOMESTIQUE, UNE AMBASSADRICE DE LA BIODIVERSITÉ ?
Si l’abeille domestique est bien une composante de la biodiversité au sens de sa définition, il serait néanmoins erroné d’en faire un emblème pour alerter sur l’érosion du vivant. En comparaison aux 950 espèces d’abeilles sauvages vivant également en France métropolitaine (20 000 dans le monde), il ne s’agit que d’une infime fraction de la diversité des « abeilles ». De plus, l’abeille domestique, entretenue et soignée par l’homme, n’est pas soumise aux mêmes pressions environnementales que ses congénères sauvages. En cas de disette, d’infection au varroa (un acarien parasite) ou aux poux de l’abeille, ou d’une prédation par le frelon asiatique, l’apiculteur intervient en apportant des soins vétérinaires et des compléments alimentaires (ou en posant des pièges, dans le cas du frelon) pour rétablir ses colonies souffrantes. Contrairement aux pollinisateurs sauvages, les abeilles domestiques étant artificiellement maintenues, elles ne sont que partiellement impactées par la disparition des milieux naturels, l’intensification des pratiques agricoles et le changement climatique. Cependant, malgré tous les soins dont elles bénéficient, elles ne sont pas épargnées par les ravages provoqués par les pesticides, au même titre que l’ensemble des pollinisateurs. La forte dégradation de l’état de santé des colonies ces dernières décennies est d’ailleurs un indicateur criant de l’effondrement silencieux en cours chez les populations de pollinisateurs sauvages. En 2022, une étude a montré que la durée de vie moyenne d’une ouvrière chez Apis melliferaa diminué de moitié en cinquante ans (34 jours en moyenne en 1970, contre 18 aujourd’hui). Les causes de ce phénomène ne sont pas complètement élucidées, mais les auteurs supposent que la sélection génétique pour privilégier la résistance aux pathogènes et la dégradation du milieu de vie des ruches sont les principaux responsables de ce changement. Conséquence de cette durée de vie limitée, les abeilles ont moins de temps pour collecter les ressources, et les ruches s’en trouvent affaiblies. Pour autant, contrairement aux espèces sauvages, cette abeille n’est absolument pas menacée et ne risque pas de disparaître. Entre 1961 et 2017, on estime que le nombre de colonies gérées par l’homme a augmenté de 85 % et la production moyenne de miel par colonie de 45 %, signes d’une optimisation des processus de production et d’une sélection génétique accrue. Pour les insectes sauvages – dont les pollinisateurs –, le constat est très différent, avec une réduction de leur abondance d’environ 10 % par décennie à l’échelle mondiale. En Allemagne, dans des réserves naturelles pourtant protégées, cette tendance générale à la baisse se traduit même par une réduction de la biomasse en insectes volants de 75 % en vingt-sept ans…
Suite et fin sur le site de l’ARB Ile de France
Photo
: Éristale ( Eristalis sp. ), Syrphe © Hemminki JOHAN