Les éoliennes sont souvent rejetées et décriées : inefficacité, pollution visuelle pour le paysage, elles seraient aussi à l’origine d’une véritable « hécatombe » chez les oiseaux et les chauves-souris. Qu’en est-il vraiment ?
Il est maintenant largement documenté que les éoliennes peuvent provoquer l’abandon d’habitats riverains par la faune, mais aussi tuer par collisions directes ou par barotraumatismes (lésions tissulaires provoquées par un changement de pression) la faune volante. Voici quelques études pour estimer cette mortalité.
En 2008, une étude réalisée par des chercheurs britanniques, et publiée dans la revue Journal of Applied Ecology, montrait que les éoliennes ne perturbaient pas le comportement des oiseaux des champs, à l’exception des faisans.
Le docteur Mark Whittingham, de l’université de Newcastle au Royaume-Uni, a recherché avec son équipe « si les éoliennes affectaient la répartition des oiseaux de plaine pendant l’hiver, période cruciale dans leur cycle annuel ». Ils ont tenté de déterminer si les oiseaux étaient perturbés par les éoliennes, et s’ils parvenaient à éviter ces structures imposantes.
L’enquête a porté sur environ 3 000 oiseaux de 33 espèces, sur des terres agricoles de l’Est-Anglie au Royaume-Uni, à proximité de deux parcs éoliens. Sur les 33 espèces, 5 faisaient partie de la «liste rouge» (le bruant jaune, le moineau friquet, le bruant proyer, l’alouette des champs et le bruant commun ou bruant des roseaux). La répartition des espèces granivores, des corvidés (famille des corbeaux), du gibier à plumes et des alouettes n’est pas affectée par les éoliennes. En revanche, le faisan, plus gros et moins agile, a tendance à garder ses distances. Curieusement, on a constaté que certains corvidés et alouettes se rapprochaient des turbines, pour une raison inconnue.
Cette étude proposait toutefois de « mener d’autres recherches concernant l’impact des éoliennes sur les oiseaux des champs, particulièrement pendant la saison de reproduction ».
L’impact des éoliennes sur les oiseaux en France
Si des suivis environnementaux ont été menés sur de nombreux parcs éoliens français entre 1997 et 2015 par des bureaux d’études et des associations naturalistes, aucune analyse globale et consolidée n’avait été réalisée jusqu’ici. Pour la première fois, la LPO présentait en 2017 une étude approfondie de la mortalité des oiseaux imputables aux éoliennes à l’échelle nationale. Celle-ci identifiait certains facteurs d’impact et émettait des recommandations pour améliorer l’intégration des parcs éoliens terrestres en réduisant leur impact sur l’avifaune.
Au 31 décembre 2021, la France comptait environ 9 700 éoliennes en exploitation pour une puissance totale installée de 19 GW, c’est 3,4 fois moins que l’Allemagne, le leader européen (Wind Europe, 2022). En 2021, la production éolienne a couvert 8 % de la consommation électrique nationale contre plus de 30 % en Irlande.
Durant un an la LPO a compilé et analysé 197 rapports de suivis réalisés sur un total de 1 065 éoliennes réparties sur 142 parcs français. Elle a ainsi récolté une masse de données importante mais a également constaté l’existence d’un certain nombre d’indicateurs limités : distribution géographique disparate, suivis parfois décorrélés des cycles biologiques des espèces identifiées, disparité des méthodologies mises en œuvre.
Eoliennes : quelle mortalité pour les oiseaux ?
Le nombre de cas de collisions constatées est extrêmement variable d’un parc à l’autre et apparaît relativement faible au regard de l’effort de prospection mis en œuvre : 37 839 prospections documentées ont permis de retrouver 1 102 cadavres d’oiseaux (et 1 279 cadavres de chauves-souris).
L’estimation de la mortalité réelle (prenant notamment en compte la durée de persistance des cadavres et le taux de détection) varie selon les parcs de 0,3 à 18,3 oiseaux tués par éolienne et par an, des résultats comparables à ceux obtenus aux Etats-Unis (5,2 selon Loss et al, 2013) ou au Canada (8,2 selon Zimmerling et al., 2013).
Les passereaux en migration et les rapaces nicheurs sont les espèces les plus impactées
Les migrateurs, principalement des passereaux, représentent environ 60 % des cadavres retrouvés. Les roitelets à triple bandeau et les martinets noirs, impactés principalement lors de la migration postnuptiale, sont les espèces les plus dénombrées sous les éoliennes françaises. Les rapaces diurnes, représentant 23 % des cadavres retrouvés – principalement pendant la période de nidification – forment le deuxième cortège d’oiseaux impacté par les éoliennes.
Statut de protection et état de conservation des oiseaux touchés
Sur les 97 espèces retrouvées, 75 % sont officiellement protégées en France.
10,2 % des cadavres appartiennent à des espèces inscrites à l’Annexe I de la Directive Oiseaux tels que le Faucon crécerellette, le Milan royal, le Milan noir ou le Busard cendré et 8,4 % appartiennent à des espèces considérées comme menacées sur la liste rouge française à l’instar du Gobemouche noir, du Bruant jaune, etc…
En 2018, 46 cadavres de Milans royaux ont été découverts sur le territoire français par le Réseau Milan royal. La plupart ont été victimes d’empoisonnement ou de tirs de chasseurs mais 4 sont morts électrocutés à cause du réseau de lignes électriques et 3 sont entrés en collision avec des éoliennes.
L’implantation des éoliennes dans ou à proximité des ZPS (Natura 2000) génère la plus grande mortalité. La mortalité directe due aux éoliennes est au moins deux fois plus importante dans les parcs situés à moins de 1 000 m des Zones de Protection Spéciale (zones Natura 2000 au titre de la Directive Oiseaux) et elle y affecte bien plus qu’ailleurs les espèces patrimoniales.
Les parcs les plus anciens – ceux mis en service avant 2004 – étant plus souvent que les autres situés dans des espaces naturels et à proximité des ZPS, il conviendra d’être très vigilant pour toute démarche qui consisterait à simplifier leur renouvellement sans prise en compte sérieuse des enjeux biodiversité.
En avril 2021, l’Association Paysages et Forêts de l’Armançon (apfa 89) qui lutte notamment contre l’installation d’éoliennes sur son territoire, rapporte le témoignage de Philippe Lardin, maire de Pasilly (dans l’Yonne) : « Quand la commune a accepté d’installer des éoliennes sur son territoire, elle souhaitait participer à la transition écologique. Or au pied des éoliennes, on trouve des milans noirs, des faucons crécerelles, des alouettes, des martinets, des roitelets et des chauves-souris. Nous avons un des parcs qui tue le plus en proportion du nombre d’éoliennes installées. 14 % des milans noirs tués par des éoliennes chaque année en France le sont dans ce parc ! Je ne pensais pas que ce serait aussi important. C’est trop dommageable. »
Eoliennes : quelle mortalité pour les chauves-souris ?
Dans une étude publiée en juin 2022 dans la revue scientifique Journal of Applied Ecology, des chercheurs du Centre d’Écologie et des Sciences de la Conservation (CESCO – Muséum national d’Histoire naturelle, CNRS, Sorbonne Université), en partenariat avec le bureau d’études Auddicé se sont penchés sur l’impact des éoliennes sur les haies environnantes qui servent notamment d’habitats pour les chauves-souris.
Résultat : « la présence d’éoliennes à proximité immédiate d’habitats favorables tels que les haies (à 10-43 mètres) engendre une diminution très nette de l’utilisation de cet habitat de prédilection par les chauves-souris. Par ailleurs, des éoliennes situées plus loin des haies (43-100 m) peuvent contribuer à attirer certaines de ces espèces dont les Noctules, connues pour être particulièrement sensibles aux risques de collision. En d’autres termes, des éoliennes situées à moins de 100 m des haies peuvent causer une perte d’utilisation des habitats au niveau du site d’implantation et des risques accrus de collisions et donc de mortalité » soulignent les scientifiques.
Ces cas de mortalité peuvent, chez certaines espèces de chauves-souris (notamment en Amérique du Nord), réduire drastiquement la taille des populations et augmenter le risque d’extinction de celles-ci.
Par conséquent, les auteurs « soulignent l’importance de placer les éoliennes à une distance suffisante des haies et des lisières boisées et corroborent les recommandations de la convention UNEP/EUROBATS qui préconisent d’éviter l’implantation d’éoliennes à moins de 200 mètres d’une lisière forestière ou d’une haie. » Or, « cette recommandation n’est actuellement que très peu respectée : en 2018, les 3/4 des éoliennes du Grand Ouest de la France installées depuis la publication de cette recommandation (2008) étaient situées à moins de 100 mètres d’une haie ou lisière forestière » ajoutent-ils.
Implantation d’éoliennes : les recommandations de la LPO
Si les objectifs ambitieux de la Programmation Pluriannuelle de l’Energie visent à doubler la puissance éolienne raccordée au réseau d’ici 2023 pour atteindre 10 000 à 12 000 machines, la tendance actuelle ne devrait permettre d’atteindre que 8 000 éoliennes terrestres en exploitation à cette échéance.
La taille des éoliennes a doublé en 15 ans pour atteindre, en moyenne, 139 m en bout de pale pour les éoliennes érigées en 2015 (maximum 160 m). La hauteur du bas des pales est, quant à elle, restée stable depuis 2006. Des projets en cours de développement annoncent l’arrivée d’éoliennes de 180 m, voire 200 m en bout de pale d’ici quelques années.
En substance, la LPO préconise un certain nombre de recommandations :
- Élaborer sans plus tarder un protocole de suivi robuste applicable à tous les parcs éoliens afin de conforter dans le temps le suivi de l’impact des parcs en fonctionnement.
- Mieux prendre en compte les migrateurs nocturnes lors du développement des projets éoliens.
- Préserver les espaces vitaux des rapaces diurnes, premières victimes des éoliennes au regard de leurs effectifs de population.
- Rejeter l’implantation d’éoliennes à l’intérieur et à proximité des ZPS.
La LPO sera particulièrement vigilante sur les projets de simplification des autorisations préalables annoncés par le nouveau gouvernement, en particulier s’agissant du renouvellement des parcs les plus anciens.
Pour Allain Bougrain Dubourg, président de la LPO : « les transitions énergétiques ne peuvent s’exonérer de la prise en compte de la biodiversité et sont condamnées à réussir ensemble ». Un pré-requis qui ne semble pas évident comme en témoignent les craintes sur les parcs éoliens offshore en cours de construction d’où s’élèveront des dizaines d’éoliennes de plus de 150 m de haut sans que l’on en mesure bien les conséquences sur l’environnement et notamment sur la biodiversité.
Source : notre-planete.info / 10 juin