La composition du gouvernement d’Elisabeth Borne est censé, d’après le projet annoncé par Emmanuel Macron depuis sa réélection, amorcer un véritable tournant vers la transition écologique. Le président a d’ailleurs utilisé le terme de « planification écologique », expression au cœur du programmede son concurrent Jean-Luc Mélenchon.
Contrairement au premier gouvernement Macron, aucun ministre ou secrétaire d’État n’est issu de la société civile, alors même que plusieurs spécialistes préconisent une meilleure concertation avec les associations et usagers, voire une co-construction de cette transition. Ce choix pourrait s’avérer délicat à l’avenir mais reflète une vision techno-libérale de la transition.
L’idée est de répondre aux défis de la transition écologique par la technologie et la coopération public/privé. Pour le logement et le transport, ce sont des pré-requis. Or, ce pragmatisme a ses limites. La transition écologique nécessite aussi, comme l’indiquent plusieurs recherches, un projet culturel fort et un espace de négociation réel avec les citoyens.
Typiquement, les questions du logement et de la mobilité révèlent des visions multiples. Il faut donc pouvoir mobiliser autour de ces questions pour trouver des compromis locaux. La co-construction avec l’ensemble des acteurs de la société civile apporte des solutions pour une réelle appropriation de ce défi majeur et pour affiner et territorialiser les projets écologiques. Un défi majeur, parmi tant d’autres, est la politique des déchets qui implique tous les acteurs : des citoyens, aux acteurs publics et privés sans oublier les industriels et les recycleurs. Cette co-construction nécessite une véritable horizontalité au risque d’aliéner certains acteurs, comme cela a été le cas avec les Plans départementaux d’elimination des déchets ménagers et assimilés (PDEDMA), sur la zone francilienne dont les déboires ont bien été analysés.
Or, l’architecture gouvernementale choisie attribue à la même ministre (Amélie de Montchalin) de très nombreux portefeuilles, comme celui des transports ou du logement, abordé certes par la réhabilitation énergétique. Le risque est ici d’avoir une vision uniquement technophile de la question énergétique.
Ainsi, si on aborde le logement par le seul prisme technologique, on limite la réduction de la consommation énergétique à un exercice de réhabilitation thermique et de maîtrise d’œuvre. Ignorer les pratiques des usagers, leurs besoins, leurs valeurs et leurs priorités compromet la rénovation énergétique car la dimension sociale n’est pas intégrée d’emblée au projet.
Les risques ont bien été soulignés dans ce type d’exercice : sans intégrer la dimension sociale, il y a un potentiel effet rebond (augmentation plus importante qu’initialement prévue) remettant en cause la viabilité économique de ces investissements et privant les ménages de réelles réduction de la facture.
La justice sociale, grande absente du gouvernement
Par ailleurs, la question de la justice sociale est la grande absente. Or, c’est par cette entrée que l’on peut mobiliser les citoyens pour les embarquer dans ces mutations. En effet, la crise écologique touche plus durement les plus pauvres (logement, transport, alimentation et accès à la nature).
Rappelons que pour beaucoup de ménages français, transition écologique rime avec éco-anxiété, c’est-à-dire un sentiment de désarmement face au dérèglement climatique et une peur de perte d’emploi et de pouvoir d’achat.
Pour certains ménages en situation de précarité énergétique, représentant 12 millions de ménages soit 20 % de la population, cette question est critique : comment se loger et se chauffer et surtout à quel prix ? Si on veut réussir la transition écologique, les changements ne doivent plus être une source de peur et de frustration mais un moyen de se projeter dans l’avenir.
La précarité énergétique défi urgent
Les inégalités environnementales sont très importantes, comme le rappelait très bien Lucas Chancel en 2017. 10 % des ménages le plus riches émettent huit fois plus de gaz à effet de serre que les 10 % des ménages les plus pauvres.
Source : The Conversation
photo : La première ministre Elisabeth Borne accompagnée de plusieurs ministres, Agnès Pannier Runacher (transition énergétique), Amélie de Montchalin (ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires)avec le directeur du muséum d’histoire naturelle Bruno David le 23 mai. Julien de Rosa/ AFP