Alors que la planète se réchauffe à grand pas, il est temps de passer à l’action rapidement pour limiter au maximum les conséquences du réchauffement climatique. Ce n’est plus un secret pour personne, l’Arctique est une des zones géographiques la plus impactée par la hausse des températures avec, notamment, la fonte accélérée de sa banquise, mais pas seulement… Une étude scientifique s’est intéressée de près à l’impact de ces changements sur la toundra sibérienne. Ce biome unique pourrait bientôt disparaître, d’ici le milieu du millénaire, si des mesures fortes ne sont pas mises en place rapidement !
La crise climatique actuelle est particulièrement forte en Arctique où la température moyenne de l’air a augmenté de plus de 2°C au cours des 50 dernières années, bien plus que partout ailleurs. Un rapport des Nations Unies confirme que, même si nous réussissons à atteindre les objectifs fixés par l’Accord de Paris, selon lesquels il faut réduire fortement les émissions de gaz à effet de serre afin de maintenir le réchauffement à 2°C, les températures hivernales moyennes en Arctique (Pôle Nord) augmenteront tout de même de 3 à 5°C d’ici 2050 et de 5 à 9°C en 2080.
Une nouvelle étude scientifique, réalisée par des experts de l’Institut Alfred Wegener et publiée dans la revue eLife, s’est alors intéressée de près aux conséquences de l’augmentation des températures en Arctique sur la toundra de Sibérie. La toundra est une formation végétale des régions subpolaires et serait vouée à disparaître si des mesures drastiques ne sont pas prises rapidement pour réduire les émissions de gaz à effet et, par conséquent, la hausse des températures.
« Pour l’océan Arctique et la banquise, le réchauffement actuel et futur auront de graves conséquences », a déclaré le professeur Ulrike Herzschuh, chef de la division des systèmes environnementaux terrestres polaires à l’Institut Alfred Wegener, au Centre Helmholtz pour la recherche polaire et marine (AWI) . « Mais l’environnement terrestre va radicalement changer. Les vastes étendues de toundra en Sibérie et en Amérique du Nord seront massivement réduites, car la limite des arbres, qui change déjà lentement, avance rapidement vers le nord dans un futur proche. Dans le pire des cas, il n’y aura pratiquement plus de toundra d’ici le milieu de ce millénaire. Au cours de notre étude, nous avons simulé ce processus pour la toundra du nord-est de la Russie. La question centrale qui nous préoccupait était : quelle voie d’émissions l’humanité doit-elle suivre pour préserver la toundra en tant que refuge pour la faune et la flore, ainsi que son rôle pour les cultures des peuples autochtones et leurs liens traditionnels avec l’environnement ? »
La toundra est directement menacée par l’avancée des forêts
Les chercheurs ont étudié de près le cas de la toundra du Nord-Est de la Russie, en Sibérie, pour essayer de comprendre comment préserver ce biome unique qui abrite un mélange de faune et de flore exceptionnelles. Celle-ci est menacée par l’avancée progressive de la limite des arbres des forêts de mélèzes (conifères) qui s’étendent vers le nord, en raison du réchauffement climatique.
Environ 5% des espèces de plantes de la toundra sibérienne sont endémiques (on ne les trouve qu’en Arctique), telles que la dryade à huit pétales (Dryas octopetala), le pavot arctique (Papaver radicatum) et les arbustes prostrés comme les saules et les bouleaux. Toutes ces espèces se sont adaptées aux conditions locales difficiles : des étés courts et des hivers longs et rigoureux. Quant à la faune, on peut y trouver des espèces rares, comme les rennes, les lemmings ou encore des insectes, tels que le bombus polaris, une espèce arctique de bourdons.
Pour apporter des réponses à leurs questions, les experts ont utilisé le modèle de végétation LAVESI – développé pour l’écotone de la toundra-taïga sibérienne – qui décrit le cycle de vie complet des mélèzes de Sibérie. Les experts ont simulé les trajectoires de migration de la limite des arbres jusqu’à la fin du millénaire afin de fournir des informations importantes sur les zones de toundra qui peuvent survivre au réchauffement climatique et sur les endroits où des mesures préventives de protection seraient nécessaires afin de la conserver.
« Ce qui définit le modèle LAVESI, c’est qu’il nous permet d’afficher toute la limite des arbres au niveau des arbres individuels », explique le modélisateur AWI, Dr Stefan Kruse. « Le modèle dépeint le cycle de vie complet des mélèzes de Sibérie dans la zone de transition vers la toundra – de la production et de la distribution des semences à la germination, jusqu’aux arbres adultes. De cette façon, nous pouvons représenter de manière très réaliste la limite des arbres qui avance dans un climat qui se réchauffe. »
Les résultats sont clairs, dans les scénarios climatiques les plus chauds, les forêts de mélèzes pourraient s’étendre vers le nord à une vitesse pouvant atteindre les 30 kilomètres par décennie. En raison de la proximité de l’Océan Arctique, certaines étendues de toundra ne vont pas pouvoir se déplacer et vont finir par diminuer progressivement.
Les différents scénarios climatiques prédisent la disparition d’une bonne partie de la toundra
D’après les experts, dans un scénario de réchauffement climatique « intermédiaire » (RCP 4.5) et « extrême » (RCP 8.5), où les températures pourraient augmenter respectivement de 3°C et de 14°C en Arctique, il resterait au moins 6% de la toundra actuelle d’ici le milieu du millénaire.
En effet, lors de la publication du 5ème rapport du GIEC, en 2013-2014, les experts ont défini quatre profils représentatifs d’évolution des concentrations de gaz à effet de serrepour le XXIème siècle et au-delà. Ces trajectoires se distinguent par les efforts plus ou moins grands de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale. En se basant sur ce qu’ils appellent les « Trajectoires représentatives de concentration » (Representative Concentration Pathways – RCP), les climatologues décrivent les conditions climatiques et les impacts du changement climatique associés à chacune de ces quatre trajectoires d’ici 2100 : RCP 8.5, RCP 6.0, RCP 4.5 et RCP 2.6. (RCP 8.5 étant le scénario le plus extrême).
Si et seulement si des mesures fortes sont prises pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, il sera encore possible de sauver environ 30% de la toundra sibérienne. Dans le cas contraire, la ceinture de la toundra sibérienne, longue de 4 000 kilomètres, se réduirait en deux parcelles, distantes de 2 500 kilomètres, sur la péninsule de Taimyr à l’ouest et la péninsule de Tchoukotka à l’est.
De plus, les scientifiques précisent que, même si l’atmosphère se refroidissait au cours du millénaire, ce ne serait pas une solution miracle car les forêts ne libéraient pas complètement les anciennes zones de toundra.
« À ce stade, c’est une question de vie ou de mort pour la toundra sibérienne », a conclu Eva Klebelsberg, Chef de projet des Aires protégées et du changement climatique / Arctique russe au WWF Allemagne, dans le cadre de l’étude. « Des zones plus vastes ne peuvent être sauvées qu’avec des objectifs de protection climatique très ambitieux. Et même alors, dans le meilleur des cas, il y aura finalement deux refuges distincts, avec des populations de flore et de faune plus petites qui sont très vulnérables aux influences perturbatrices. C’est pourquoi il est important d’intensifier et d’étendre les mesures de protection et les aires protégées dans ces régions, afin de préserver des refuges pour la biodiversité inégalée de la toundra », ajoute Klebelsberg, qui, en collaboration avec l’Institut Alfred Wegener, milite pour l’établissement de zones protégées. « Après tout, une chose est claire : si nous continuons à faire comme si de rien n’était, cet écosystème disparaîtra progressivement. »
Source : notre-planète.info – 17 juin