LETTRE DE WASHINGTON
Le Rangifer tarandus, qui comme chacun sait désigne le caribou des bois, risque de bientôt quitter la liste des espèces menacées de l’US Fish and Wildlife Service, l’organisme fédéral chargé de la préservation et de la protection de la nature aux Etats-Unis. Pour une bien triste raison. Dans l’espace géographique des Etats continentaux contigus, à l’exception, donc de l’Alaska, les hardes de ce cervidé que l’on pouvait trouver naguère dans les montagnes qui s’étendent de l’Etat de Washington à celui du Montana, se réduisent aujourd’hui à une seule et unique survivante. Cette dernière a été capturée et placée dans un enclos cet hiver.
Motoneiges et loups
La désolante chronique de cette disparition a été dressée avec scrupule par les organisations de défense de la faune sans émouvoir manifestement les autorités compétentes, locales et fédérales. Lorsqu’il est inscrit sur la liste des espèces en voie de disparition, en 1983, le caribou ne compte déjà plus que quelques dizaines de représentants. La population de cet animal plus massif que le caribou commun, surnommé le « fantôme gris » pour son goût pour les espaces reculés, augmente ensuite pendant quelques années, grâce à l’apport d’individus venus de la Colombie britannique voisine, avant d’entamer un fatal déclin. Selon des repérages aériens, les caribous des bois ne sont plus qu’une cinquantaine en 2009, puis douze en 2016, puis trois en 2018.
La faute à l’exploitation forestière massive, à l’invasion des motoneiges pétaradantes, mais aussi au loup et à la concurrence des élans, qui n’ont cessé tout au long de ces années d’empiéter sur le territoire de ces cervidés. Lorsque, à la suite d’une pétition, des espaces ont été sanctuarisés en 2006 pour protéger l’animal, l’US Forest service, chargé de la gestion des forêts nationales, s’est mobilisé pour réduire leur surface. Le processus s’est répété en 2011 après la décision de l’US Fish and Wildlife Service de consacrer 1 500 kilomètres carrés au caribou, un territoire ramené chichement un an plus tard à seulement 120 kilomètres carrés.
Les autorités fédérales ne sont pas les seules en cause. En 2012, preuve de la mobilisation de groupes d’intérêts économiques, une étude commandée par l’Idaho State Snowmobile Association avait chiffré à 25 millions de dollars (22 millions d’euros) les pertes estimées imputées au programme de préservation du caribou, présenté comme excessivement coûteux. Il s’agissait notamment de l’impact sur le tourisme, selon cette organisation, d’une décision prise en 2005 pour limiter l’usage, dans certains espaces et à certaines saisons, d’une nouvelle génération de motoneiges particulièrement puissantes. Les engins ont fini par l’emporter sur les cervidés.