« Si on n’a pas ces réservoirs de biodiversité, qu’est-ce qu’on fait ? » : pourquoi la gestion des haies est devenue un casse-tête pour les agriculteurs

Indispensables pour l’environnement, les haies en bordure de champs sont au cœur d’un projet de loi examiné au Sénat, mardi. Les agriculteurs demandent la simplification de leur gestion.
Le gouvernement veut simplifier la gestion des haies qui bordent les champs. C’est une réponse au besoin de simplification exprimé depuis un an par les agriculteurs. C’est l’un des objectifs du projet de loi d’orientation agricole qui arrive devant le Sénat, mardi 4 février. Pour se rendre compte de la difficile gestion des haies et de leur importance pour l’environnement, franceinfo s’est rendu en Mayenne à la rencontre de deux défenseurs du bocage.
Au pied d’une de ses haies, Philippe Gruau, agriculteur à Saint-Ouen-des-Toits près de Laval : « Une haie classique, avec du chêne, toutes les essences locales. Les vaches aiment bien avoir de l’abri quand il fait chaud ou quand il pleut. Il y a des auxiliaires de culture. Quand on est avec des cultures en bio, on n’a pas de traitement. »

Chaque année, la France perd 20 000 kilomètres de haies

Bertrand Jarri, membre de l’association France Nature environnement en Mayenne, précise : « Les auxiliaires, ce sont des insectes. La coccinelle, comme la chrysope, trouve refuge dans les haies à la mauvaise saison. Et au printemps, lorsqu’ils se développent, ils vont s’alimenter sur les cultures qui, elles, sont impactées par les pucerons. »

« Si on n’a pas ces réservoirs de biodiversité, qu’est-ce qu’on fait ? On utilise un produit de synthèse qui vient d’ailleurs et qui n’est pas forcément très bon pour l’ensemble de la chaîne alimentaire », poursuit Bertrand Jarri. Le militant applaudit ce qu’il voit ici. Philippe Gruau possède aujourd’hui quelque 120 mètres de haie à l’hectare, le double de la moyenne régionale. Or, en France, la tendance est à la baisse : d’un point de vue général, les haies sont mal en point en France.
« La haie a son rôle, il faut la maintenir »

Chaque année, la France perd en effet 20 000 kilomètres de haies. Depuis 1950, 70% d’entre elles ont disparu. Après la Seconde Guerre mondiale, les campagnes ont été métamorphosées par le remembrement : il fallait détruire le bocage pour faire de la place aux tracteurs. Autre explication, la difficulté d’entretien.
Et là, l’agriculteur Philippe Gruau sait de quoi il parle, il a sept kilomètres à gérer : « C’est du temps à passer, notamment l’hiver. C’est un petit peu périlleux parce qu’il pleut beaucoup, mais c’est un travail qu’on fait à partir de décembre jusqu’à mi-mars, parce que la date de coupe s’arrête au 15 mars pour la nidification des oiseaux. »
« C’est un travail qu’on faisait essentiellement à la main, maintenant ça s’est un petit peu mécanisé, donc ça a un coût, c’est du temps. »

Même pour tailler des haies sur leur propre exploitation, les agriculteurs sont confrontés à des lois précises. C’est un casse-tête administratif : aujourd’hui, il faut s’adresser à 14 acteurs différents. « Il y a plusieurs organismes pour savoir comment est classée votre haie. Tout dépend si vous êtes dans des zones protégées, si vous êtes dans des bassins-versants… Il faut simplifier la réglementation. Après, il ne faut pas simplifier pour dégrader ou supprimer. Il faut simplifier pour que ce soit plus simple, pour que l’agriculteur s’y retrouve dans les démarches. Ça n’empêche pas que la haie a son rôle et qu’il faut la maintenir », insiste Philippe Gruau.
Le gouvernement souhaite créer un guichet unique. La loi propose également d’abattre les haies sur simple déclaration et non plus après autorisation ou encore d’abaisser les amendes en cas d’infraction des agriculteurs. Des simplifications qui révoltent le défenseur de l’environnement, Bertrand Jarri : « La disparition des règles, ça, c’est très mauvais. Le paysan de manière générale aime bien être maître chez lui, sur sa terre, etc. Mais aujourd’hui, le paysan touche des subventions. Et donc, à partir de là, l’utilisation d’argent public a des contreparties. »
La simplification, selon les associations environnementales, sacrifie les avancées observées ces dernières années. Un pacte en faveur de la haie avait été conclu l’an dernier, doté d’un budget de 110 millions d’euros. Il a été ramené à 30 millions d’euros dans le projet de loi de finances.
Sept euros de bonus haie, « ce n’est pas suffisant pour inciter d’autres collègues »

C’est d’ailleurs pour sauver ce plan que le Sénat vient de voter pour une proposition de loi écologiste pour la préservation des haies. Le sénateur d’Ile-et-Villaine, Daniel Salmon, veut enrayer ce qu’il appelle « la spirale destructrice », en inscrivant un nouvel objectif chiffré dans la loi : créer 50 000 kilomètres de haies supplémentaires d’ici 5 ans. Il porte aussi un projet de crédit d’impôt, en faveur des fermes engagées pour un bocage durable.
Ce serait une bonne chose pour Philippe Gruau, car actuellement il ne touche presque rien à l’hectare. « Pour l’instant, il y a sept euros de bonus haie avec ceux qui rentrent dans le label haie de la Pac, mais ce n’est pas suffisant pour inciter d’autres collègues. On ne regarde pas que l’argent mais vraiment ça nous aiderait bien », glisse-t-il. L’agriculteur le confie toutefois : la taille de ses haies lui permet quand même, aujourd’hui, de faire des économies. Avec le bois, il chauffe sa ferme et fait tourner son fournil où il produit du pain bio avec du blé de ses champs.

Source : France Info

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