Les populations de bourdons d’Europe, insectes au rôle écologique crucial, pourraient décliner considérablement dans les 40 à 60 prochaines années du fait du dérèglement climatique et de la perte de leur habitat naturel, selon une étude publiée le 13 septembre 2023 dans Nature.
400.000 observations
Les 68 espèces de bourdons européens sont majoritairement adaptées aux climats tempérés ou froids de l’hémisphère nord. Ces insectes au corps velu et trapu figurent parmi les principaux pollinisateurs, essentiels à la reproduction des plantes sauvages comme des plantes cultivées (tomates, poivrons, colza, melons…).
Une équipe de chercheurs d’universités en Belgique a collecté des données sur la distribution des 46 espèces de bourdons à travers le continent, couvrant des périodes passées (1901 à 1970) et récentes (2000 à 2014) : plus de 400.000 observations, archivées par les musées. Ils les ont combinées aux dernières modélisations de changements climatiques du GIEC, le groupe d’experts de l’ONU sur le climat, ainsi qu’à des modèles prédisant les changements d’occupation des sols.
Conclusions : « Jusqu’à 75% des espèces de bourdons qui aujourd’hui ne sont pas menacées vont voir leur aire de distribution diminuer de 30% d’ici 2061-2080« , déclare à l’AFP Guillaume Ghisbain de l’Université libre de Bruxelles, premier auteur de l’étude. En 2080, l’espèce la plus commune, le bourdon terrestre, qu’on reconnaît dans nos jardins à ses deux bandes jaunes et son derrière blanc, « verrait la limite (sud, ndlr) de son aire de répartition géographique, actuellement au seuil du Sahara, remonter jusqu’à la Loire« , précise Pierre Rasmont du laboratoire de zoologie de l’Université de Mons.
Espèces en danger
De « préoccupation mineure » dans la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), la plupart des espèces de bourdons risquent de basculer dans la catégorie des espèces en danger. Les bourdons des régions arctiques et alpines risquent même d’être au bord de l’extinction, avec une perte d’au moins 90% de leur habitat, relève l’étude.
« Un habitat favorable suppose des variables environnementales liées aux paysages et à l’utilisation des sols« , explique Denis Michez, professeur d’entomologie à l’Université de Mons, co-auteur des travaux. « L’agriculture intensive fragmente les habitats et repose sur des engrais synthétiques qui enrichissent artificiellement le sol en azote. Or les bourdons consomment surtout des plantes qui poussent dans les sols pauvres en azote« , comme le trèfle, développe Guillaume Ghisbain. Sans parler des effets néfastes des pesticides, comme les néonicotinoïdes, même s’ils n’ont pas été intégrés à ces prédictions.
Des insectes qui ne survivent pas à des températures trop élevées
Les bourdons sont aussi victimes du dérèglement climatique, avec les vagues de sécheresse qui tuent les plantes qu’ils butinent, et surtout l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des canicules. Car à part quelques espèces résistantes, les bourdons meurent à des températures trop élevées. « On l’a constaté dans notre laboratoire un jour où la climatisation est tombée en panne : il faisait 40 degrés, nos colonies sont mortes en moins d’une heure. Certains survivent mais leurs spermatozoïdes deviennent déficients« , raconte Pierre Rasmont.
L’entomologiste qui a parcouru l’Europe durant des dizaines d’années pour collecter les insectes, avait perçu une raréfaction des populations, que ce soit en Finlande ou dans les Pyrénées. « Là où l’année d’avant il y avait eu une canicule, on collectait jusqu’à 100 fois moins d’individus« , se souvient-il.
L’étude anticipe que les bourdons iront trouver refuge dans les régions plus fraîches de Scandinavie. Mais encore faudrait-il que la biodiversité n’y soit plus fragilisée par les activités humaines (agriculture intensive, urbanisation…), ce qui est impossible à prévoir. Ces migrations sont d’ailleurs déjà visibles. « Un jour, je collectais des bourdons dans le nord de la Norvège et tout à coup, au milieu des espèces arctiques, je tombe sur un bourdon terrestre… il avait fait un bond de 800 kilomètres vers le Nord« , se souvient le Pr Rasmont.
« Notre étude réussit à quantifier ce qu’on ressentait avec des informations empiriques« , et ses conclusions sont plus alarmantes qu’une précédente évaluation du déclin des abeilles faite par l’UICN en 2014, sur dix ans, selon le Pr Michez.
Source : Sciences et Avenir