Par Robert Calcagno, Directeur général de l’Institut océanographique – Fondation Albert Ier, Prince de Monaco, et Lily Venizelos, Présidente de MEDASSET (Association Méditerranéenne pour le Sauvetage des Tortues de Mer)
Publiée sur le Huffington Post le 25/10/2016
Il n’aura fallu qu’un demi-siècle à l’Homme pour menacer l’existence des tortues marines. Apparues avec les dinosaures il y a 110 millions d’années, elles ont survécu à cinq grandes crises d’extinction avant de devenir témoins et victimes des mauvais traitements que nous infligeons à l’océan. Il est pourtant facile d’éviter aux tortues marines l’extinction à laquelle elles semblent vouées : certains signes dans leur actualité estivale nous autorisent à croire en un avenir plus clément si nous agissons vite.
En Méditerranée (mais c’est aussi le cas par exemple au Mexique), il semble que les pontes de l’été aient été fructueuses pour les tortues marines. En Grèce, à Chypre, en Israël, en Italie ou en Espagne, un accroissement significatif du nombre de nids a été constaté. Jusqu’au littoral hexagonal où une tortue caouanne est venue pondre sur une plage de Fréjus… événement tellement rare sur nos côtes que le fait même de s’en réjouir est déconcertant : cette rareté aurait dû nous désoler ! Les petites tortues sont désormais retournées à la mer, sous l’œil attentif de milliers d’internautes…
Des signes d’une embellie pour les populations de tortues marines ?
Il est trop tôt pour répondre à cette question tant la multiplicité des menaces qui les vise les a rendues vulnérables. Si elles étaient victimes d’une pression humaine ciblée, comme c’est le cas de certaines espèces surpêchées (requins, thons rouges, etc.), la solution serait évidente : arrêter d’en manger. Mais les tortues témoignent de l’impact global de l’Homme sur les milieux marins. Pour sauver les tortues marines, il n’existe donc pas de solution unique, mais un ensemble d’initiatives pour lutter contre des menaces multiples : si elles sont épargnées par leurs prédateurs naturels, elles doivent encore se battre contre nos prédateurs domestiques, la pêche accidentelle, le braconnage, les pollutions chimiques, les déchets en plastique (qu’elles confondent avec des méduses), le bétonnage et l’urbanisation de leurs sites de ponte, etc. Depuis les plages où elles naissent et reviennent pondre, jusqu’à la haute mer, nous ne les épargnons à aucun stade de leur longue vie !
Heureusement, la mobilisation s’organise comme le montre l’interdiction récente des sacs plastique à usage unique mise en place par Monaco, la France et l’Italie par exemple. La première cartographie des 54 centres de soins pour tortues du pourtour méditerranéen, réalisée par l’association MEDASSET , témoigne aussi d’une dynamique du réseau des professionnels comme des bénévoles. Parmi eux, le Musée océanographique de Monaco dont le centre ouvrira en 2018 pour assurer une meilleure prise en charge des tortues blessées. Ces « cliniques » sont en outre de formidables outils de sensibilisation de l’opinion. Car il faut démultiplier le message pour que chacun comprenne le rôle concret qu’il peut jouer au quotidien en faveur des tortues.
Au-delà de cette mobilisation, ce sont aussi les innovations qui participent à la réduction des dommages involontaires, comme les filets de pêche équipés de trappes spéciales qui laissent s’échapper les tortues capturées au milieu des crevettes. Ou encore les hameçons qu’elles ne peuvent ingérer et qui sauvent ainsi la vie à des dizaines de milliers de tortues par an. La science a aussi son rôle à jouer en nous aidant à mieux connaître cet animal pour mieux le protéger : des balises de plus en plus perfectionnées restent à mettre au point, capables d‘embarquer de nombreux instruments de mesure avec une grande autonomie et un faible encombrement. L’innovation est donc un moteur d’espoir puissant, qu’il faut encourager.
Si, malgré tous ces éléments, il vous arrive parfois de douter de l’utilité des gestes que vous pouvez faire au quotidien, comme jeter votre mégot ou vos déchets dans une poubelle, éviter l’usage de produits polluants, prioriser des achats responsables (qu’il s’agisse de produits de la mer ou de destinations touristiques) : pensez aux tortues ! Ainsi vous saurez que même vos gestes les plus simples, en contribuant à soulager notre pression sur l’océan, participent directement à l’amélioration du sort des tortues marines. Nous vous donnons rendez-vous l’été prochain pour savoir si la tendance positive de 2016 se poursuit.
D’ici-là, maintenez vos efforts pour respecter l’océan, les espèces qui y vivent et jusqu’à l’Homme qui en dépend si étroitement.