Alors que s’est ouvert le 14 novembre au Panama la 19ème Conférence des Parties de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES COP19), le Comité français de l’UICN formule 25 recommandations concrètes pour enrayer le trafic de ces espèces sur notre territoire. A la fois pays d’origine, pays de destination et pays de transit de ce commerce, la France a une forte responsabilité pour lutter contre cette criminalité environnementale.
La surexploitation d’espèces sauvages figure parmi les principales menaces pour la biodiversité, touchant des milliers d’espèces animales et végétales classées dans la Liste rouge mondiale des espèces menacées de l’UICN. Leur trafic constitue aujourd’hui l’une des activités criminelles transnationales les plus lucratives au monde, représentant jusqu’à 23 milliards d’euros par an. Il apparaît souvent associé à d’autres activités illicites (comme le blanchiment d’argent ou la corruption) et alimente parfois des groupes armés et des réseaux terroristes.
Pour faire face à cette menace, la 19ème COP de la CITES rassemble durant onze jours les représentants des Etats parties à la convention et des ONG du monde entier, du 14 au 25 novembre à Panama City. Des décisions importantes sont attendues pour renforcer la régulation du commerce international de nombreuses espèces victimes de la surexploitation et des trafics.
Parmi les points à l’agenda cette année, figurent notamment des enjeux portant sur les éléphants d’Afrique et le commerce de l’ivoire, les hippopotames, les rhinocéros blancs, différentes espèces de crocodiles et de tortues, de requins requiem et de raies guitare, une grenouille lémur arboricole, ou encore différentes essences de bois tropicaux. Des sujets concernant le renforcement des contrôles et la lutte contre les fraudes seront particulièrement discutés. Le Comité français de l’UICN attend également des avancées pour les petits requins-marteau et les concombres de mer exploités commercialement, dont la protection est proposée par l’Union européenne.
Au-delà du caractère international de ces enjeux, l’action de chaque pays sur son territoire est essentielle. Dans la géographie des trafics d’espèces sauvages, la France est à la fois un pays source, un pays de destination et une plaque tournante de flux internationaux illicites.D’après les visites réalisées à l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle, Maud Lelièvre, Présidente du Comité français de l’UICN, rappelle que « nous avons un engagement moral à agir car ce sont chaque jour des centaines de kilos d’espèces sauvages qui sont saisies à l’arrivée des vols internationaux (pangolins, primates, chauves-souris, antilopes, poissons, agoutis, insectes…) : pour le seul terminal T2 de l’aéroport de Roissy, plus de 36 tonnes de denrées périssables illégales ont été saisies en 2021, dont plus de 10 tonnes de viande de brousse ». Dans ce terminal pourtant, seuls 20 agents des douanes officient pour un flux de 24 000 passagers / jour, estimant saisir environ 10% des denrées illégales.
Au-delà des atteintes aux espèces menacées, les risques sanitaires sont élevés, avec l’importation possible de zoonoses (maladies portées par des animaux et transmissibles aux humains) via ces trafics. Les primates et les chauves-souris sont par exemple les principaux vecteurs d’Ebola. Et de nombreuses autres espèces sont connues pour porter des agents pathogènes pouvant former chez l’humain des maladies infectieuses potentiellement graves.Face à l’ampleur des enjeux, le Comité français de l’UICN plaide pour une action plus forte et plus déterminée et formule 25 recommandations.
Parmi celles-ci, Sébastien Mabile, avocat et Vice-Président du Comité français de l’UICN, souligne « qu’il est essentiel de renforcer les cadres réglementaires et appliquer des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives à l’encontre des auteurs de ces crimes environnementaux, en réhaussant par exemple les sanctions des délits concernant les espèces au même niveau que les autres trafics ».
De son côté, Jean-Philippe Rivaud, cofondateur et vice-président de l’association du réseau des procureurs européens pour l’environnement, expert du Comité français, insiste sur « la sensibilisation des magistrats des parquets sur la possibilité actuelle de retenir des qualifications pénales assorties de la circonstance aggravante de bande organisée ». Plus largement, il est nécessaire de renforcer la formation et la spécialisation des magistrats.
D’autre part, le rapport demande également de :
- Améliorer le soutien financier aux structures d’accueil des animaux saisis ou confisqués, une proposition particulièrement soutenue par l’Association française des parcs zoologiques ;
- Améliorer la coordination entre les organes de gestion et les différentes autorités de contrôle à l’échelle locale avec, par exemple, la création de cellules d’enquêtes opérationnelles communes « douanes-OFB-DREAL » aux échelons départementaux ou régionaux ;
- Renforcer les moyens et les capacités des services de contrôle, notamment par l’augmentation du budget affecté aux missions des services douaniers aéroportuaires et par la formation de chiens de la brigade cynotechnique des aéroports à détecter les principales espèces sauvages transportées (ou leurs produits) ;
- Accroître la responsabilité et l’engagement du secteur de la logistique et du transport, en particulier aérien ;
- Sensibiliser et responsabiliser les voyageurs en lançant des campagnes d’information massives, notamment sur les réseaux sociaux et dans les lieux de départ et arrivée ;
- Uniformiser le poids des bagages en soute à 23 kilos maximum en classe économique pour tous les vols commerciaux, y compris en provenance d’Afrique, afin de réduire le volume des marchandises à contrôler et les risques sanitaires et environnementaux.
Pour renforcer son implication, le Comité français de l’UICN décide aujourd’hui de se doter d’un inter-groupe d’experts réunissant parmi son réseau de spécialistes des compétences juridiques et scientifiques. Pour appuyer la mise en œuvre des recommandations du rapport, tous les acteurs concernés seront impliqués, en particulier les pouvoirs publics et les autorités judiciaires (juges et magistrats), les agents de contrôle déployés sur le terrain (douanes), les transporteurs aériens et les aéroports, pour obtenir des avancées concrètes dans la lutte contre le trafic d’espèces sauvages.