Le Congrès mondial de la nature a appelé à agir « radicalement » sur les causes de la perte de biodiversité.
Ce n’est pas à une, mais bien à trois crises auxquelles il faut faire face simultanément : la pandémie de Covid-19, l’érosion de la biodiversité et le dérèglement climatique. Dans le manifeste de Marseille, adopté à l’issue de son congrès, vendredi 10 septembre, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) appelle à une « réforme systémique urgente » pour résoudre conjointement l’ensemble de ces défis.
« L’humanité a atteint un point de bascule, écrit l’organisation. Notre fenêtre de tir pour répondre à ces urgences interdépendantes et partager équitablement les ressources de la planète se réduit très vite. Nos systèmes existants ne fonctionnent pas. La “réussite” économique ne saurait plus se faire aux dépens de la nature. »
Malgré le contexte sanitaire, le congrès organisé en format hybride a rassemblé, en dix jours, 5 700 délégués à Marseille et 3 300 à distance et au moins 25 000 personnes, dont de nombreux jeunes, qui ont visité les espaces destinés au public. « La séquence internationale consacrée à la protection de la planète, avant la conférence mondiale sur la diversité biologique (COP15) et celle sur le climat (COP26), est bel et bien ouverte », s’est félicitée la secrétaire d’Etat française chargée de la biodiversité, Bérangère Abba.
Pour mettre !n à l’érosion dramatique de la biodiversité, l’UICN appelle chacun de ses membres à s’engager pour parvenir à l’adoption d’un cadre mondial « transformateur, ecace et ambitieux » lors de la COP15 qui s’ouvrira de manière virtuelle en octobre, puis devrait se tenir en présentiel au printemps 2022 à Kunming, en Chine. C’est à cette occasion que les chefs d’Etat dé!niront la feuille de route des dix prochaines années pour parvenir à enrayer la disparition des espèces et la dégradation des écosystèmes.
Les membres de l’UICN se sont engagés à soutenir, en vue de la COP, l’objectif de protéger et de conserver de manière ecace et équitable au moins 30 % des terres et des mers d’ici à 2030, en mettant l’accent sur les sites les plus importants pour la biodiversité. Cette ambition est portée par une coalition menée par la France et le Costa Rica et qui rassemble plus de soixante-dix pays. « Les 30 %, c’est vraiment le seuil minimum à atteindre, a souligné Harvey Locke, un membre de la Commission mondiale des aires protégées de l’UICN. A terme, la science nous dit que nous devrons protéger au moins la moitié de la planète. »
Les aires protégées ne seront toutefois pas susantes pour restaurer les écosystèmes. Pour cela, il faudra agir « radicalement » sur les causes de la perte de biodiversité dans tous les secteurs, en supprimant les polluants, en éliminant la surpêche, en diminuant la déforestation, en réduisant de moitié l’empreinte écologique des modèles de consommation et de production, en transformant le système alimentaire… « La biodiversité et la nature sont importantes partout », insiste le manifeste.
Question des financements
A quelques semaines seulement de la COP26, prévue du 1er au 12 novembre à Glasgow, en Ecosse, les membres de l’UICN n’ont cessé de rappeler l’importance des liens entre les deux crises climatiques et de la biodiversité. Ils appellent à découpler la croissance économique de l’utilisation des combustibles fossiles et à cesser tout investissement international dans ces sources d’énergie. L’organisation rappelle également que les « solutions fondées sur la nature » – c’est-à-dire des actions qui protègent, restaurent et permettent de gérer durablement des écosystèmes – pourraient assurer environ 30 % des eorts de réduction des émissions requis d’ici à 2030. « Collectivement, les membres de l’UICN envoient un message puissant à Glasgow et à Kunming : le temps est venu d’un changement fondamental », a résumé le directeur général de l’instance, Bruno Oberle.
Après de longues discussions, les membres ont aussi adopté une proposition visant à créer, au sein même de UICN, une nouvelle commission consacrée à la crise climatique. « Nous sommes une petite île, nous vous supplions de nous donner une commission sur ce sujet », a lancé pendant le débat un délégué d’Hawaï. « Cette commission va permettre de faire entrer des experts du climat au sein de l’UICN, se réjouit Maud Lelièvre, la présidente du comité français. Il faut que les experts de la biodiversité et ceux du climat s’in$uencent mutuellement. »
Face à la pandémie de Covid-19, le congrès espère une relance « basée sur la nature ». Alors que des montants gigantesques d’argent public vont être dépensés à travers le monde, l’organisation demande qu’aucun investissement ne contribue à dégrader davantage les écosystèmes et qu’au moins 10 % des !nancements soient favorables à l’environnement.
« Aujourd’hui, un tout petit pourcentage des plans de relance peut être considéré comme vert, il faut faire beaucoup plus », a insisté Sonia Pena Moreno, la coordinatrice des politiques et de la gouvernance de la biodiversité de l’UICN. La question des !nancements est cruciale alors que moins de 0,2 % du produit intérieur brut (PIB) mondial est actuellement consacré à la protection de la planète.
Au total, 137 recommandations portant sur une grande diversité de sujets ont été adoptées. Plusieurs d’entre elles visent à protéger l’océan en mettant !n à la pollution plastique d’ici à 2030, en renforçant la protection des mammi%ères marins par la coopération régionale ou encore en établissant un moratoire sur l’exploitation minière des fonds marins – une proposition que n’a pas soutenue Paris. « La France n’envisage que l’exploration à des fins scientifiques, on a besoin de ces données, on ne peut pas se priver de cette connaissance », justifie Bérangère Abba.
Les forêts primaires et matures d’Europe devront être cartographiées pour être ensuite protégées de façon stricte, la déforestation importée doit être limitée par le biais d’une !scalité diérenciée et les impacts de l’industrie minière devront être réduits.
Après des heures de débats parfois vifs, une motion portant sur la biologie de synthèse
a également réussi à être adoptée. Le texte !nal demande à l’UICN de dé!nir sa position sur ce sujet hautement controversé d’ici au prochain congrès, en 2024, tout en rappelant l’importance fondamentale du principe de précaution.
Si les recommandations et résolutions votées à Marseille ne sont pas contraignantes, les acteurs de la protection de l’environnement comptent bien s’appuyer sur ces textes, adoptés à de très larges majorités, pour interpeller les gouvernements et les entreprises.
« Ces motions ne garantissent rien mais on voit quand même qu’il y a des choses qui avancent, salue Jean-David Abel, spécialiste des questions de biodiversité à France Nature Environnement. A force de prendre des engagements, les Etats sont bien obligés de les respecter au moins un petit peu. » « Ces messages envoyés par une grande autorité mondiale de la conservation ont une résonance forte, assure aussi Maud Lelièvre. Maintenant qu’ils sont adoptés, nous allons pousser pour leur mise en œuvre. »
Perrine Mouterde / Le Monde/12-13 septembre 2021
photo : Manifestation pour exiger des mesures en faveur de la nature et des peuples autochtones, à Marseille, le 3 septembre. CHRISTOPHE SIMON/AFP