Certains animaux perçoivent plus de couleurs que les humains, d’autres moins : un défi pour les chercheurs ou les réalisateurs de films animaliers, qui ne sont pas munis des mêmes yeux. Un nouveau système de caméra et un logiciel leur viennent désormais en aide, reproduisant les couleurs perçues par différents animaux avec une précision de plus de 90 %.
Imaginez une abeille en quête de nectar qui tourbillonne autour d’un coquelicot. Incapable de distinguer le rouge, elle perçoit néanmoins le rayonnement ultraviolet (UV) émanant de la fleur. Pour elle, les étamines au centre du coquelicot forment une cible qui rayonne tel un signal lumineux. Cette cible ultraviolette est invisible pour nos yeux. Nous pensons que la fleur est d’une seule couleur, le rouge.
Pour remédier à ce problème, des chercheurs de l’Université de Sussex (Royaume-uni) et de l’Université George Mason (États-Unis) ont développé un nouveau système de caméra et un logiciel en open source (dont le code source est disponible et librement adaptable) pour capturer des vidéos mettant en évidence les spécificités de la vision de divers animaux. Leurs travaux sont parus le 23 janvier 2024 dans la revue Plos Biology.
Voir les couleurs comme les animaux
Les animaux perçoivent le monde différemment de nous en raison des capacités des photorécepteurs de leurs yeux. La reconstitution des couleurs que les animaux voient réellement peut aider les scientifiques à mieux comprendre comment ils communiquent et naviguent dans le monde qui les entoure.
Or, les caméras actuelles sont calibrées pour la vision humaine. Et les méthodes traditionnelles d’obtention d’images en « fausses couleurs » – comme la spectrophotométrie – prennent souvent beaucoup de temps, nécessitent des conditions d’éclairage spécifiques et ne permettent pas de capturer des images en mouvement.
« Notre système nous permet désormais de filmer les couleurs telles qu’elles sont perçues par les animaux dans leurs milieux naturels« , explique à Sciences et AvenirDaniel Hanley, professeur de biologie à l’Université George Mason (États-Unis) et co-auteur de l’étude
Une précision de plus de 92 %
Pour y parvenir, les chercheurs ont assemblé deux caméras Sony α6400 disponibles dans le commerce, un objectif pour agrandisseur Nikon El-Nikkor laissant passer la lumière UV, un séparateur de faisceau dichroïque (qui divise la lumière en fonction de sa longueur d’onde), un filtre passe-bande et un boîtier imprimé en 3D sur mesure.
Dans la pratique, ce nouvel outil – qui combine les méthodes existantes de photographie multispectrale (enregistrant en une seule prise de vue plusieurs longueurs d’onde) – enregistre simultanément des vidéos dans quatre canaux de couleurs : bleu, vert, rouge et ultraviolet. Ces données peuvent ensuite être traitées en « unités perceptives » par le logiciel pour produire une vidéo précise de la manière dont les couleurs sont perçues par les animaux, sur la base des connaissances existantes sur les photorécepteurs de leurs yeux.
“Comme nous connaissons la lumière à laquelle chaque caméra est sensible, nous pouvons dériver algébriquement une relation entre les couleurs captées par la caméra et celles perçues par la vision de l’animal souhaité« , détaille Daniel Hanley. L’équipe a testé ce nouveau système en le comparant à une méthode traditionnelle utilisant la spectrophotométrie et a constaté qu’il était capable de prédire les couleurs perçues avec une précision de plus de 92 %.
Mieux comprendre de nombreux mécanismes
L’intérêt ? Capturer des images en mouvement qui rendent visible ce qui est invisible à l’œil humain, comme les rayons UV ou les infrarouges. La plupart des mammifères ne perçoivent en effet que le bleu et le vert. Le trichromatisme – ou la perception du bleu, du vert et du rouge – est propre aux humains et à certains autres primates apparentés.
Pour les chercheurs, une imagerie plus réaliste de la vision animale permettra de mieux comprendre de nombreux mécanismes écologiques, tels que le biomimétisme ou le camouflage. « Tous les composants et les plans de notre système sont accessibles au public, de sorte que les chercheurs, les écologistes sensoriels ou encore les réalisateurs de films animaliers puissent construire leur propre système », s’enthousiasme Daniel Hanley.
À terme, l’équipe prévoit d’utiliser ce nouveau système pour mieux comprendre comment les oiseaux perçoivent le verre, « dans le but de comprendre les facteurs conduisant aux collisions mortelles d’oiseaux contre les vitres« .
Source : Sciences et Avenir