Une étude française alerte sur la situation du lynx dans le Massif du Jura, côté français. Le faible nombre d’individus conduit à une consanguinité dramatique au sein de la population qui est la principale dans le pays.
Le ministère de la Transition écologique avait publié mi-mars 2022 le premier plan national (PNA) en faveur du lynx portant sur la période 2022-2026. « Nous avons participé à l’élaboration du PNA, qui, comme tout document public, a fait l’objet de tractations et d’arbitrages« , explique à Sciences et Avenir Gilles Moyne et Nathan Huvier, respectivement directeur et technicien chargé d’étude et de suivis au Centre Athénas. Celui-ci vient en aide aux animaux sauvages blessés ou dangereusement isolés. Il porte secours à des lynx mais aussi à de nombreuses autres espèces animales (chauves-souris, lézards, grenouilles, aigles…). « L’Etat a refusé dans ce premier PNA d’envisager la possibilité d’un renforcement de population, de même que le remplacement systématique des animaux braconnés« , expliquent les deux spécialistes.
Nous sommes en 2023, et la situation du prédateur reste très compliquée dans le pays. Une analyse génétique publiée le 13 février dans la revue Frontiers in Conservation Science et pilotée par Gilles Moyne et Nathan Huvier prédit même « l’extinction imminente du lynx boréal en France« .
Une population indispensable à la survie de l’espèce en France
Cet animal, aussi appelé lynx d’Eurasie (Lynx lynx), est réapparu dans le massif du Jura, côté français, à la fin des années 70 après la dispersion d’animaux provenant de la région des Carpates et réintroduits en Suisse. Le félin souffre de sa discrétion. Sa population est mal connue et peu médiatisée, mais ils seraient environ 140 adultes dans le massif français du Jura, ce qui constitut le principal noyau de l’espèce sur le territoire. Cette population serait, par ailleurs, peu connectée à celles d’Allemagne et aux autres de Suisse.
Le lynx en France : une population très concentrée dans le Jura
Outre le massif du Jura, les lynx sont aussi présents dans les Alpes françaises et en nombre très faible dans les Vosges. Dans ce massif, le nombre d’individus est estimé à une femelle et trois mâles issus des réintroductions ayant eu lieu dans le Palatinat allemand. « Et pour ce qui est de la présence du lynx dans les Alpes Françaises, la population est estimée entre 10 à 15 individus« , précise les membres du centre Athénas. « Les populations vosgiennes et alpines sont à l’heure actuelle trop faibles et diffuses« , alertent Gilles Moyne et Nathan Huvier. La France compterait environ 150 adultes (fourchette haute).
« Quarante ans après son retour en France, on pouvait s’attendre à un nombre d’individus plus important, mais d’éventuelles dépressions consanguines ainsi que des menaces comme le braconnage et les collisions avec des voitures peuvent expliquer la limitation du nombre d’individus observés et conduire à une nouvelle extinction de l’espèce dans cette région« , est-il écrit dans la nouvelle étude.
Depuis des années, le centre Athénas avait pressenti le problème qu’allait poser la faible diversité génétique de la population de lynx en France. Il a donc décidé en 2015 de mener des analyses sur les lynx présents dans le massif français du Jura.
Une carte d’identité génétique de chaque individu
Le centre a récolté 88 échantillons d’ADN sur des lynx blessés ou orphelins, qu’il a pris en charge, et sur des lynx morts victimes de collisions routières. Avec l’aide de l’entreprise Antagene, il a ensuite « réalisé la carte d’identité génétique de chaque individu à l’aide de 23 marqueurs microsatellites« , des séquences ADN particulières.
« Chaque marqueur microsatellite est défini par une combinaison de deux allèles (deux variantes d’un même gène, ndlr), ainsi en combinant les 23 marqueurs, nous obtenons une combinaison d’allèles unique pour chaque individu. En comparant ces séquences, nous pouvons déterminer les similitudes et les différences de chaque animal, ce qui nous permet d’estimer la diversité génétique de notre pool d’échantillon représentant la population du Massif du Jura« , précisent Gilles Moyne et Nathan Huvier.
Une consanguinité alarmante
Les résultats obtenus sont alarmants : ils traduisent une très faible diversité génétique dans le groupe. Le niveau de consanguinité est qualifié de « très inquiétant« , souligne l’étude. « La consanguinité accroît le risque d’occurrence de pathologies congénitales (suspicion par exemple sur des cas d’insuffisance cardiaque, décelés à plusieurs reprises) et peut induire une baisse des succès de reproduction (baisse de la natalité, faible taux de survie des jeunes)« , indiquent les deux membres du centre. Selon cette étude, la population française de lynx dans le Jura pourrait ainsi s’éteindre dans environ 30 ans.
Rien n’est perdu pour le lynx boréal
Mais cette population peut encore être sauvée. « Pour favoriser la diversité génétique, il faut à la fois introduire des individus provenant de noyaux de populations européennes ayant une plus forte diversité génétique, et favoriser de façon active les échanges entre les différents noyaux de population, par exemple en restaurant et protégeant des ‘corridors’. Un des autres moyens évoqués avec nos homologues étrangers serait l’échange d’orphelins avec d’autres pays qui, sans augmenter l’effectif, serait une manière d’obtenir un apport génétique extérieur« , détaillent Gilles Moyne et Nathan Huvier.
En parallèle, la lutte contre le braconnage et les collisions routières (24 en 2022) doit s’organiser. « Pour le braconnage, la solution réside dans un accroissement des moyens de lutte et de constatation (personnel et temps dédié), ainsi que dans la sensibilisation des magistrats pour une application pleine et exemplaire des pénalités prévues par la loi« , réclament Gilles Moyne et Nathan Huvier. Le risque de collision peut, quant à lui, être contenu grâce à des campagnes de sensibilisation mais aussi par le déploiement de panneaux de signalisation routière dans l’aire de répartition du félin. Le centre Athénas adopte déjà ces deux leviers d’action. « Il est toujours possible d’inverser la tendance« , insistent les deux experts.
Source : Sciences et Avenir