Historienne des sciences et de l’environnement, Valérie Chansigaud étudie aussi les mouvements politiques qui veulent préserver la biodiversité ou le climat. Quelques jours après le démarrage des élections européennes, l’auteure des Combats pour la nature nous livre son analyse sur les récentes manifestations pro-climat et les programmes électoraux soumis aux électeurs. La plupart des listes aux élections européennes accordent une large place à l’environnement. Est-ce positif?
Oui et non. Effectivement, les politiques accordent une plus large place qu’auparavant aux questions touchant à la nature et au climat. Mais la protection de l’environnement et de la nature n’est pas un élément suffisant pour porter un projet politique.
Pourtant, la pression sociale s’accroit.
Je ne suis pas très à l’aise avec les manifestations d’étudiants ou de citoyens réclamant un renforcement de l’action contre le réchauffement climatique. Tous ces manifestants défilent en réclamant de nouvelles actions, certes, mais ils ne proposent rien. Ils veulent que les «opérateurs» de l’action publique se débrouillent: à eux d’imaginer un futur sans menaces. C’est une véritable attitude consumériste. Beaucoup de mots d’ordre ou de prises de position affirment qu’il faut se mobiliser pour «ses» enfants, présents ou à venir, propos en phase avec la rétraction de la notion de solidarité visible partout, –ce qui est particulièrement inquiétant.
Dès lors, en proposant différentes options, les politiques retrouvent leur rôle…
Le problème, c’est que la réponse à apporter à des problèmes aussi globaux et complexes que la protection de la biodiversité ou du climat ne peut être que sociétale. Or, aucune réflexion politique du moment, aucun programme n’apporte de réponse à cette échelle.
Les candidats de la liste Batho-Bourg-Waechter préconisent un changement de modèle, de société…
Dire, comme le fait Antoine Waechter, que l’écologie n’est ni de gauche, ni de droite, trahit son inculture politique. Ce sont incontestablement les plus nantis qui détruisent le plus la nature, qui contribuent le plus au renforcement de l’effet de serre. Par leurs mots d’ordre et leurs manifestations, les Gilets jaunes montrent que l’on peut et que l’on doit tout à la fois conjuguer les luttes sociales et environnementales. C’est le retour de la lutte des classes.
Pas convaincue par le progressisme autoproclamé de ce gouvernement?
Le gouvernement d’Emmanuel Macron, comme celui de François Hollande, mène une politique qui ne profite qu’au 0,1% des ménages les plus nantis, ceux dont l’empreinte écologique est la plus importante et qui profitent le plus de la croissance des inégalités. Cela interroge. Ce qui m’intéresse avec le mouvement des Gilets jaunes, c’est qu’il ramène à la surface des questions tournant autour de la solidarité. C’est sur ce champ-là que s’expriment les grandes oppositions historiques entre la droite et la gauche. Ranimer la solidarité, à quelques semaines des élections européennes, c’est démontrer que le clivage droite-gauche existe toujours, au grand dam des partisans d’Emmanuel Macron.
Quelle formation politique porte-t-elle le projet environnemental le plus abouti?
Sans aucun doute la France Insoumise. Et je le dis d’autant plus librement que je ne suis attachée en aucune manière à ce parti. Conçu par les militants et les dirigeants du parti, soutenu par une centaine d’économistes, ce projet se donne la transition sociale et environnementale comme objectifs, en précisant comme y parvenir.
Entre EELV, la France Insoumise, Génération.s, et le PS-Place Publique, 4 listes se revendiquent de l’écologie aux Européennes. N’est-ce pas une faiblesse?
Le constat de la crise écologique est partagé par tous ces partis. Ce n’est pas le cas des solutions à lui apporter. Et le risque d’inaction est d’autant plus grand que les 4 listes que vous citez sont incapables de s’accorder sur un programme commun. C’est presque criminel!
Le Journal de l’Environnement/10 avril 2019
photo : DR